La position médiane consiste pour le jeune à dire oui et non quand il en a envie, plutôt que de rejeter systématiquement l’autre par peur du rejet ou de se laisser rejeter pour la même raison. Moqueur et moqué partagent la même crainte d’être rejetés et confirment ce ressenti en rejetant les autres et en se laissant/faisant rejeter en alternance. C’est ce qui explique qu’un jeune qui est harcelé dans un groupe peut « se transformer » en harceleur ensuite.
Pour confirmer son statut victimaire, le jeune a aussi besoin de faire appel à des sauveurs : adultes encadrants et témoins des moqueries peuvent endosser le rôle de ceux qui interviennent pour contrer les moqueries en protégeant la « victime ». Si l’intervention des adultes et des témoins est nécessaire pour stopper des moqueries répétées ou graves, elle peut poser plusieurs problèmes.
Lorsque j’étais enseignante, Lara se lamentait d’être rejetée du groupe. Elle m’adressait régulièrement cette plainte, si bien qu’un jour où elle était absente, j’ai sermonné la classe à ce sujet. Ce que j’ai appris m’a effarée : la « victime » des moqueries disait depuis la rentrée que les autres étaient idiots et qu’elle était plus intelligente qu’eux. Lara évoquait leur immaturité pour valoriser la sienne et montrait des mimiques méprisantes envers certains (« Elle se la pète avec ses grands airs ! »), mimiques que j’ai constatées ensuite. Certains élèves ont avoué que d’autres profs s’en étant mêlés, ils avaient encore plus envie de se moquer de Lara, parce qu’elle les faisait passer pour des « salauds ». Après avoir évoqué cet aspect en privé avec elle, Lara a pris une autre place dans le groupe, plus ouverte et moins dédaigneuse. Les autres élèves ont arrêté de se moquer d’elle autant. Lara est devenue plus complice avec une jeune fille de la classe. Et les tensions se sont aplanies. L’« ex-victime » a été élue déléguée de classe et l’ambiance s’est améliorée.
Les adultes doivent rester particulièrement vigilants aux incitations à l’attaque. Il s’agit d’attaques jouées mais non assumées, comme : les sourires en coin, les yeux levés au ciel, les rires moqueurs, les soupirs, les regards complices adressés à des copains (signifiant par exemple : « Qu’il est con, celui-là ! »), les frôlements ou les bousculades « sans le faire exprès »… qui peuvent amener l’autre à attaquer, pour ensuite contre-attaquer en disant : « Je n’ai rien fait ! » ou « C’est elle qui a commencé ! ».
De la même manière, il arrive que des jeunes inventent des propos moqueurs, les exagèrent, en pleurent intensément auprès des adultes. Quand les versions divergent, il est difficile pour certains enseignants ou éducateurs de démêler le vrai du faux. Il est à noter que ce n’est pas parce qu’un jeune pleure et l’autre pas, que c’est forcément (uniquement) celui qui ne pleure pas qui a fait mal à celui qui pleure. Il est instinctif de vouloir consoler et sauver un élève qui manifeste de la tristesse. Mais parfois cette tristesse est feinte, fait suite à une escalade liée à des incitations à l’attaque ou des attaques de la part de la victime supposée.
Certains jeunes me rapportent qu’ils sont injustement punis pour des propos qu’ils n’ont pas tenus, parce que la « victime » pleure et que l’adulte ne les croit pas : « Elle ne pleure quand même pas pour rien ! Tu vas pas me dire qu’elle l’a inventé ?!! »
C’est ainsi qu’un jour, Léa a raconté à ses parents que Mattéo la traitait de « sale pute ». Elle a mobilisé les enseignants et les parents autour d’elle et ses plaintes assorties de pleurs ont convaincu les adultes que sa version était juste. Jusqu’à ce que Mattéo raconte sa version aux parents de Léa et de Mattéo réunis. Léa a alors dit : « Bah, peut-être que j’ai un peu inventé. Mon cerveau a tout mélangé, je sais plus trop… » Quelques questions de clarification ont permis de rétablir la vérité des moqueries que s’échangeaient mutuellement Léa et Mattéo.
Si des règles ou des lois existent à propos de la manière de communiquer, le moqué peut y faire référence, le cadre servant de tiers sécurisant entre les membres d’un groupe : lois sur la discrimination, règles concernant le harcèlement, règlement de l’école ou de l’institution… En cas de transgression d’une règle, le moqueur devra assumer les conséquences de ses actes.
Tout ce qui fait tiers sort du face-à-face dangereux. Le moqué peut faire appel à :
En réponse à une moquerie qui l’a blessée, Élisa a eu recours aux témoins en s’adressant à eux, comme si le moqueur était absent : « Euh, vous croyez qu’il m’aime bien ? À mon avis oui mais il sait pas comment me le dire… » Les témoins ont ri ou souri, ce qui a arrêté le moqueur dans son élan.
Avec les moqueurs dont le déficit d’empathie est important, il est nécessaire de faire appel à des tiers régulièrement. Qu’il les apprécie ou pas, le moqueur invétéré devra, pour rester intégré, se plier aux normes du groupe en matière de communication. Encore faut-il que ces normes soient explicitées dans le discours des membres du groupe et/ou dans un règlement.
Le groupe de témoins des moqueries reste, après la réaction du moqué à la moquerie, le plus grand levier de maintien ou d’arrêt de vannes blessantes. Les témoins sont « spect-acteurs » et encouragent ou découragent la moquerie, selon qu’ils décident : d’en rire (approbation), de la nier (absence de désapprobation), de la contrer (refus explicite des moqueries qui font mal).
Christelle Lacour