De toute façon, son chemin est déjà tout tracé !

30 septembre 2024 09:02
Temps de lecture : 8min.
De la maternelle au supérieur, on entend des professeur-e-s déclarer, parfois même au début de l’année, qu’un enfant ne réussira pas son année, voire qu’il n’ira pas au bout de ses études ou qu’il « finira » dans une filière professionnelle. Rendre un tel verdict scolaire, en plus d’être réducteur, nie de nombreux éléments. D’abord, l’essence-même de l’école : un lieu reconnu pour acquérir des apprentissages. Donc celui où, au départ, on arrive sans (presque) rien connaître et où on nous donne un temps défini (pas instantané) pour se rapprocher du savoir. Ensuite, c’est contester le principe d’éducabilité, cette confiance que chacun‑e a les possibilités de progresser, d’évoluer, d’aller vers des réussites selon ses capacités. Enfin, c’est désavouer la part de responsabilité des adultes à trouver comment soutenir les élèves sur le chemin (pas toujours verdoyant) de l’école.

Les travaux sociologiques le démontrent depuis longtemps. L’école favorise les enfants qui correspondent à la culture scolaire, c’est-à-dire, la culture que l’on retrouve dans les familles ayant un certain capital culturel, qui maîtrisent les codes implicites attendus par l’école (maîtrise de son corps, de la langue, de son comportement, de ses interventions…).

Il est évident que ces élèves s’y retrouvent plus facilement que d’autres. Dès lors, l’enjeu est d’étayer suffisamment ces attendus scolaires pour que tou‑te‑s puissent vivre un parcours scolaire épanouissant. Autrement dit, permettre à chaque enfant de monter dans le train et de se sentir entouré pour être capable de faire des vrais choix quant à ses orientations scolaires et professionnelles.

Bien souvent, les enfants arrivent dans leur nouvelle classe ou école avec un lot d’étiquettes collées par les autres enseignant‑e‑s. Un‑e tel‑le sera « une cause perdue » ou « un plaisir en classe », pour un‑e autre « n’essaye même pas, ça n’ira pas dans le général » ! Ces étiquettes, qu’elles soient positives ou négatives, entraînent une série d’effets négatifs. Elles enferment dans des attentes ou dans un parcours qui ne sont pas forcément ceux souhaité par l’enfant. Mais ces étiquettes n’agissent pas que sur les résultats scolaires. Quand elles sont transmises aux parents lors des réunions ou dans le bulletin, elles s’invitent aussi à la maison et dans les rapports parent-enfant, entraînant, parfois, des conséquences : transformation du regard des un‑e‑s sur les autres, graines de doute et d’insécurité, confirmation d’inquiétudes ou, au contraire, de certitudes…

L’école et ses verdicts exercent, en outre, un puissant pouvoir dans la représentation que les élèves ont d’eux‑elles‑mêmes, puis plus largement dans ce que leur renvoie la société et de la place qu’ils‑elles peuvent y occuper. Qui ne se souvient pas d’une petite phrase prononcée par un‑e prof qui lui est restée durant son parcours scolaire et, souvent, bien après : « Si j’étais toi, je laisserais tomber les maths ! », « Toujours aussi doué pour parler en public ! », « Peut-être qu’en coiffure, ça irait mieux ? »… ? Et même si c’est douloureux, c’est plus simple à l’école, de cultiver cette image de soi, celle que tout le monde attend, que de s’en construire une autre, plus positive, plus valorisée et valorisable ! Ainsi, de nombreux enfants se conforment rapidement aux jugements des adultes plutôt que lutter contre ceux-ci. Plus facile, moins énergivore et chronophage, plus normatif !

Ces étiquettes empêchent également les professionnel‑le‑s de porter un regard neuf sur les enfants, même si cela permettrait à certain-e-s de sortir de dynamiques enfermantes. Pour les mêmes raisons, il est plus facile pour les adultes d’entretenir le fatalisme d’une étiquette existante. De plus, elles‑ils se prémunissent de la responsabilité du potentiel échec de certain‑e‑s élèves plutôt que de prendre le risque d’essayer de raccrocher celles et ceux en difficulté et de ne pas y arriver.

En effet, derrière toute "réussite", il y a une part active de l'enseignant-e.

Par ailleurs, ces diagnostics hâtifs ne favorisent pas une rencontre équitable des élèves. Même si les enfants n’arrivent pas égaux‑égales dans le système scolaire, il est bien réducteur d’en déduire leur incapacité à se mobiliser pour acquérir les savoirs et compétences requises. Cela traduit une vision où c’est l’élève seul‑e qui doit combler ses lacunes par la force du travail. Un enfant bûcheur est alors brandi en étendard du mérite : « Si même lui a réussi, les autres aussi peuvent y arriver ! » À la 1re réunion de parents ou concertation, il arrive d’entendre proclamer que l’année est déjà compromise alors que ça ne fait que quelques semaines que l’enseignant- e connaît l’élève en question. Une chose est d’identifier que les conditions actuelles ne sont pas réunies pour qu’un‑e jeune soit en capacité de mener à bien son année. Une autre est d’y associer une sentence et d’en faire porter à l’élève la seule responsabilité. En effet, derrière toute « réussite », il y a une part active de l’enseignant‑e. D’abord, par le postulat de l’éducabilité cognitive de tou‑te‑s. C’est-à-dire, être profondément (oui, vraiment) convaincu‑e qu’avec le soutien adapté, chaque élève peut « réussir ». Ce n’est pas de la simple pensée magique, c’est ce qu’on appelle une prophétie autoréalisatrice, bien connue sous le nom d’effet Pygmalion1.

Ensuite, en prenant le temps de connaître les élèves, de repérer ce qui les mobilisent, de leur proposer des modes de travail et d’apprentissage qui les captivent… Comme ça, elles‑ils entraînent leur confiance et leur estime d’elles‑eux. Elles‑ils peuvent se risquer à des choses plus ardues et déconstruire des représentations piégeantes. Alors, certainement que, parfois, ce qu’identifient les professionnel‑le‑s est vrai. Certain‑e‑s enfants rateront leur année, d’autres ne réussiront pas en filière générale…

Mais prononcer de telles idées occulte une question : « Que puis-je faire, moi, en tant que professionnel‑le de l’éducation, pour les accompagner et les aider dans cette situation ? Comment est-ce que je choisis d’exercer mon métier, dans les conditions données, pour viser la confiance en soi, le développement de la personne, la transmission des compétences qui rendent aptes à apprendre toute sa vie, la préparation à être citoyen‑ne2?» Dans notre société qui excelle à la relégation, au collage à la va-vite d’étiquettes, prendre le temps pour que chacun‑e ait une place de choix, libérée des restrictions est un combat dont tou‑te‑s les professionnel‑le‑s ont l’opportunité de se saisir. Et vive les décollants d’adhésifs, les ongles ou le vinaigre blanc !

Le Groupe École des CEMÉA

L’effet Pygmalion (ou l’effet Rosenthal & Jacobson) est une prophétie autoréalisatrice (le fait de croire en quelque chose augmente les possibilités qu’elle se réalise) qui permet d’augmenter les performances d’un sujet, en fonction du degré de croyance en sa réussite venant d’une autorité ou de son environnement. L’effet inverse, appelé effet Golem, se traduit par l’idée que des attentes peu élevées sur un individu généreraient des performances moindres et des objectifs moins élevés.

2 D’après le décret « Mission » du 24 juillet 1997 in http ://www.enseignement.be/index.php



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