Se sentir inférieur ou supérieur aux autres se manifeste dans la posture dès les premiers instants. On constate une adaptation du tonus musculaire aux ressentis : si l’ado ressent une augmentation de la chaleur et du tonus dans les bras, son corps se prépare à attaquer. De même, un jeune en sidération peut voir son stress s’accroître jusqu’à l’angoisse, car le corps est préparé à l’action, les gestes sont préparés sans être effectués, ce qui met le corps en tension : accélérateur pour attaquer, et frein au même moment pour fuir. Il se sent coincé dans la situation, comme son corps le lui indique.
Au niveau physique, les travaux de Laborit ont observé ces trois réactions :
Avez-vous déjà observé ces jeunes qui bombent le torse, lèvent la tête, fixent les autres pour évaluer la menace, serrent les mâchoires, parlent vite et fort, gesticulent amplement… ? Ne vous fiez pas aux apparences : s’ils sont terrorisants, c’est qu’ils sont terrorisés ! Inutile en effet de se préparer à l’attaque en continu s’ils ne se sentent pas menacés en continu.
Et vous en connaissez des ados qui baissent les yeux, courbent le dos, ne savent pas quoi faire de leurs bras ou les cachent sous la table, se recroquevillent, rentrent les épaules, parlent à voix basse, sourient trop souvent (comme pour apaiser l’autre perçu comme menaçant), restent statiques… ? À 180 degrés, ils ont le même problème que les pseudo-frimeurs : ils se sentent nuls et ont peur d’être rejetés, ce qui confirmerait leur impression de nullité. Dans le cas des « timides », le sentiment de vulnérabilité est peut-être plus visible que dans celui des « frimeurs », qui se voilent derrière une fausse assurance.
L’un se comporte comme un prédateur, en apparence du moins, car il est prédateur par peur d’être prédaté. L’autre joue la proie impuissante, comme son tonus mou en atteste. Ce faisant, elle attire inévitablement des « prédateurs » désireux d’enterrer leur peur du rejet en rejetant les « proies » qu’ils croisent. Le paradoxe de ce duo proie/prédateur est qu’il peut très bien fonctionner en amitié : le prédateur protège la proie d’autres prédateurs. Et la proie valorise le prédateur et lui rend service en retour. La « proie » devient dès lors un faire-valoir pour le prédateur, qui a sans cesse besoin de voir sa supériorité confirmée, tant il se sent (au fond) inférieur. Mais le pouvoir et l’amour sont deux choses différentes : être admiré et craint ou être impressionné et apeuré par l’autre ne signifie pas forcément être aimé ou aimer.
En clair, prédateur et proie sont les deux faces d’une même pièce. Tout comme moqueur et moqué, harceleur et harcelé, « trop méchant » et « trop gentil », terrorisant et terrorisé. Ils partagent la même difficulté à être aimés pour qui ils sont et à se rendre aimables aux yeux des autres, et pas juste en imposant leurs désirs ou en se soumettant à ceux de l’autre.
Chacun de nous possède une bulle de sécurité plus ou moins grande. Cette bulle est la distance à laquelle nous nous sentons en confiance pour discuter avec l’autre. La taille de cette bulle varie selon le type de relation et le degré d’intimité désiré. En cas d’agression notamment, elle augmente sensiblement, car le territoire qu’elle représente doit être étendu pour mettre l’autre à distance. Par ailleurs, le face-à-face augmente le rythme cardiaque en situation de tension, ce qui l’accroît encore.
Si l’interlocuteur est agressif, il est donc dangereux de lui faire face et de s’en rapprocher, de le toucher, l’enfermer, le coincer physiquement. Se mettre trop loin ou lui tourner le dos peut aussi exacerber son agressivité. Face à des suspects potentiellement dangereux, les forces de l’ordre pratiquent d’ailleurs naturellement cette distance de contact, qui n’est pas une fuite mais une posture de protection :
Il respire profondément depuis son abdomen en imaginant qu’il est un arbre, que des racines poussent de ses pieds et entrent dans le sol. Il est indéracinable ! Il peut aussi imaginer qu’un fil traverse son corps jusqu’au sommet du crâne et le relie au ciel. Ou visualiser qu’un tube de lumière blanche englobe son corps et se projette avec puissance jusqu’aux nuages. Dans tous les cas, la force exercée est verti- cale, de haut en bas avec l’image de l’arbre, de bas en haut avec le fil ou le tube lumineux, les deux en même temps si c’est possible.
Si l’ado est assis, les bras et jambes se décroisent, le dos est au fond du siège, les pieds à plat sur le sol et les mains posées sur les cuisses ou la table. S’il lui est impossible de mettre à la fois le dos au siège et les pieds au sol, il privilégiera les pieds au sol, tout en gar- dant le dos le plus droit possible.
Dans cette posture, le jeune ne se sent ni hérisson ni paillasson. Il incarne le proverbe amérindien qui dit : « Là où sont mes pieds, je suis à ma place. » L’ado est moins facilement attaquable et même s’il est attaqué, il est moins déstabilisé. Il se sent plus assuré, plus confiant pour se protéger des moqueries et y répondre posément.
Un pas plus loin consiste à adopter la Power Posture, aussi appelée « Posture de la victoire » ou « Posture du héros ». Cette posture est décrite par Amy Cuddy, chercheuse à la Harvard Business School. Amy Cuddy a demandé à des étudiants d’adopter une posture de défaite, de proie, épaules rentrées, corps recroquevillé, pendant deux minutes. À d’autres sujets, elle a demandé d’adopter la posture de la victoire pendant deux minutes. Un prélèvement salivaire de chacun des sujets a été effectué avant et après ce laps de temps.
Le résultat est phénoménal : les étudiants ayant une posture d’impuissance voyaient leur taux de testostérone (hormone de la dominance) diminuer et leur taux de cortisol (hormone du stress) augmenter. À l’inverse, après la « Posture du héros », les étudiants avaient un taux de testostérone significativement plus élevé et un taux de cortisol plus bas. Modifier sa posture même artificielle- ment permet donc de modifier son état émotionnel, son image de soi et la perception que son vis-à-vis en a. Autrement dit, faire semblant d’être fort provoque un ressenti de réelle assurance.
La posture de la victoire consiste à plier les bras et à poser les mains sur les hanches. Les jambes sont plus écartées que dans l’ancrage, à largeur des avant-bras. Comme dans l’ancrage, les épaules sont relax et droites, la respiration ample, le menton droit. Comme dans le monde animal, se mettre dans la posture de la victoire permet de se grandir, de s’élargir, de prendre plus de place, de s’ancrer au sol pour impressionner l’autre.
Attention toutefois à ne pas se mettre en préattaque en bombant le torse, en levant le menton, en adoptant un regard mépri- sant, en fronçant les sourcils… Le but est de se montrer puissant mais pas tout-puissant, ce qui inciterait à l’attaque.
Certains jeunes se sentent mal à l’aise avec cette posture, trop éloignée de leur nature. Ils peuvent l’adapter : en écartant moins les jambes ; en ne mettant qu’une main pliée sur une hanche ; en mettant quelques doigts ou les mains dans les poches de leur pantalon ou accro- chés aux sangles de leur sac à dos ; en agrippant les lanières de leur jean avec leurs pouces ; ou encore en posant leurs mains dans le bas du dos…
Au niveau de la voix :
Face à une moquerie blessante à ses yeux, le jeune a donc intérêt à montrer ce qu’il ressent, pour autant qu’il ne le fasse pas de manière trop dramatique et affectée. Il peut choisir de manifester de l’amusement, de la désapprobation, de la compréhension ou de la distance face au propos reçu. Dans tous les cas, son langage corporel ne sera ni de la soumission forcée, ni de l’hésitation angoissée, ni de la colère exacerbée. Cette « authenticité canalisée » (dans le sens de « non dramatisée ») est certainement l’un des plus grands défis à relever si le moqué souhaite se protéger et prendre du recul face aux moqueries.
Christelle Lacour