Article du 02/10/2021 généreusement partagé par l'APED (Appel Pour une École Démocratique)
« Diminuer la taille des classes, ça paraît sympa. Mais ça coûte très cher et il n’a jamais été prouvé que ça marchait ». Lorsque l’Aped ou d’autres avancent la revendication d’améliorer les taux d’encadrement afin de diminuer le nombre d’élèves par classe, voilà une réponse souvent entendue. Ou parfois celle-ci : « Ok. Mais commençons par mieux former les enseignants. Par les outiller pour qu’ils puissent tirer profit de cette diminution. Sinon ça ne servira à rien ». Qu’en est-il vraiment ? Est-il vraiment démontré que cette mesure ne sert à rien ? Cet article a pour objectif d’apporter une réponse à ce genre d’objections en se basant sur 3 études. D'abord, la fameuse étude STAR. En suite, une autre enquête à grande échelle qui tire des enseignements sur une mesure appliquée en Suède. Et une troisième étude, une méta-analyse française qui a compilé et comparé 11 études différentes consacrées à la taille des classes. L’idée étant de voir si des tendances lourdes s’en dégageaient et pouvaient amener à des conclusions concrètes. Nous verrons qu’il ressort de ces trois études qu’il n’est pas sérieux ou pas intellectuellement honnête de douter de l’effet positif d’une mesure intelligente de réduction de taille des classes.
STAR est l’acronyme de Student-Teacher Achievement Ratio. Elle reste à ce jour une des études les plus conséquentes menées sur les effets de la réduction de la taille des classes. Tant par l’ampleur de l’échantillon que par la durée de l’étude et la méthode d’analyse. Elle a été réalisée aux Etats-Unis et plus précisément dans l’État du Tennessee. Au total, environ 11.000 élèves étaient concernés. La partie qu’on pourrait appeler « active » de l’enquête s’est déroulée entre 1985 et 1989. Elle a consisté à répartir, pendant quatre années, 6.600 élèves de 79 écoles fondamentales dans des petites classes pour la moitié d’entre eux et dans des classes normales suivant les normes du Tennessee pour l’autre moitié. Un total de 325 classes étant concernées. On entend par « petites classes », des classes comprenant entre 13 et 17 élèves. Et par « classes normales », celles qui étaient constituées de groupes comprenant 22 à 25 élèves. A quoi correspondaient ces quatre années scolaires ? Il s’agirait pour nous de l’équivalent de la 3ème maternelle et des trois premières années de primaire. Quant au reliquat d’un peu plus de 4.000 élèves, il était réparti dans des classes « normales», qui bénéficiaient cependant de taux d’encadrement plus favorables, permettant d’instaurer de la remédiation.
Quels élèves auraient la chance de se retrouver dans une petite classe ? Quels enseignants bénéficieraient de ce privilège ? Ce choix était réalisé par l’équipe de chercheurs de l’Université du Tennessee sur base de listes de noms et donc de manière totalement aléatoire. Nous verrons plus loin que ça a son importance. Tous les élèves de l’échantillon ont été soumis, au même titre que tous les élèves de cet Etat, à des tests semestriels. Un des intérêts fondamentaux de cette étude est qu’elle ne s’est pas arrêtée en 1989. Après cette date, les élèves concernés ont certes été tous replacés dans des classes « normales ». Mais l’équipe de recherche a continué à suivre leurs résultats aux tests et d’autres paramètres jusqu’à la fin de leurs études secondaires. C’est ce qui fait un des grands intérêts de cette enquête.
Dans les tableaux ci-dessous, que constatons-nous ?
Lorsqu’ils sont en 4ème primaire, on voit que les élèves qui ont pu être scolarisés quatre ans dans des petites classes bénéficient d’une avance moyenne de six mois en mathématiques et de neuf mois en lecture. Ces avances sont assez spectaculaires et ne peuvent en aucun cas être le fruit du hasard. Elles sont statistiquement très significatives. N’oublions pas que nous parlons d’élèves qui sont âgés d’une dizaine d’années.
Mais plus instructif encore, nous voyons qu’en 2ème secondaire, l’avance n’a fait que s’accentuer. Elle est respectivement de 12 mois et 13 mois dans les mêmes branches. Ça signifie que, bien qu’ils aient été replacés dans des classes normales, ceux qui ont eu la chance de fréquenter des petites classes au début de leur scolarité ont sans doute construit un rapport au savoir et un rapport à l’école qui leur permet de continuer à progresser plus vite que leurs congénères qui n’ont pas eu cette chance. C’est un constat évidemment on ne peut plus intéressant.
On peut aussi comparer les élèves de « petites classes » et les autres via d’autres paramètres. Par exemple, à la fin de l’équivalent de notre 4ème secondaire (dixième année aux USA). On voit alors que le pourcentage d’élèves « en retard », c’est-à-dire qui ont redoublé au moins une fois, évolue de 16,7 % à 43,5 % en passant d’une catégorie à l’autre. Une différence de nouveau très significative. Que dire alors des taux de décrochage, qui varient plus que du simple au quadruple (de 1,8 à 8,5%). Quant au taux d’absentéisme, il est quasi divisé par deux pour les élèves de la première catégorie. Enfin, si on en revient à des considérations plus académiques, on observe que la note moyenne en mathématiques est supérieure chez eux de plus de 10 %, ce qui est de nouveau très significatif.
Le tableau ci-dessous compare les taux de diplomation secondaire des élèves en fonction du nombre d’années pendant lesquelles ils ont fréquenté des petites classes.
Nous ne nous intéresserons pas dans ce cadre à ceux pour qui ce nombre est un, deux ou trois. En effet, il ne s’agit que des élèves qui n’ont pas pu, pour diverses raisons (comme par exemple un déménagement), participer à la totalité de ce qu’on a appelé l’expérience active. Il est donc question ici d’un petit nombre d’enfants. Zéro année correspond bien sûr aux élèves ayant fréquenté les classes normales pendant cette étude. L’intérêt de ce tableau est qu’il permet de comparer les élèves selon leur origine sociale. En effet, la catégorie « free lunch » correspond aux élèves qui ont droit à un repas chaud gratuit à midi. Au Tennessee, c’est le cas des élèves issus des milieux populaires. On peut évidemment regarder les lignes ou les colonnes. Ce qui permet d’arriver aux mêmes conclusions de manière un peu différente. Commençons par les lignes. Que voit-on ? Pour les élèves qui ont fréquenté les classes normales, l’écart est très spectaculaire entre ce que nous appellerons pour faire simple les « riches » et les « pauvres ». Etant entendu que les « riches » englobent également les classes moyennes dans ce cas de figure. Il y a plus de 13 % d’écart. Plus de 83 % des « riches » obtiennent un diplôme du secondaire. Contre à peine 70 % des « pauvres ». Une différence très nette donc. Pour les élèves des petites classes, on n’observe plus de différence. Il y a même un avantage de 1 % pour les « pauvres » ! En réalité, on est ici bien sûr dans ce qu’on appelle la marge d’erreur. La seule chose à retenir, c’est qu’il n’y a plus d’écart, ce qui est en soi très spectaculaire. Si on regarde plutôt les colonnes, sans surprise évidemment, on observe une progression très spectaculaire pour les « pauvres » entre les classes normales et les petites. Alors que cette progression est beaucoup plus faible pour les « riches ». Néanmoins, notons qu’elle n’est pas nulle.
Si nous regardons la droite du tableau qui concerne des scores obtenus en fin de secondaire en lecture et en mathématiques, on constate une progression d’un peu plus de trois points pour les deux branches entre les classes normales et les petites. C’est peut-être un peu plus difficile à interpréter pour des non-initiés. Mais si on observe que l’écart-type (standard deviations) est de l’ordre de cinq, une progression d’environ 3/5 de l’écart-type est loin d’être négligeable (l’écart-type correspondant en gros à la fourchette à l’intérieur de laquelle se situent l’essentiel des résultats).
Le graphique ci-dessous est constitué de parallélépipèdes rectangles. Par séries de trois. Ils représentent les taux d’accès à l’enseignement supérieur. Le noir indique les taux des élèves qui ont fréquenté les petites classes au début de leur scolarité. Rappelons que ça fait à ce moment neuf ans qu’ils sont en fait revenus dans des classes normales. Les gris foncés illustrent les taux de fréquentation des élèves qui ont tout le temps fréquenté les classes normales et les gris plus clairs (tachetés) ceux qui ont pu bénéficier de remédiation tout en fréquentant des classes de taille normale.
Pour la partie gauche du graphique qui concerne l’ensemble de l’échantillon, on voit que la seule différence se marque pour les petites classes. On n’observe pas de différence significative avec ou sans remédiation possible. Pour ce qui est des colonnes du milieu, on a plutôt une classification ethnique : les blancs et les noirs. Même si ça peut choquer, aux Etats-Unis, ça correspond clairement à une division sociale. Les blancs appartiennent majoritairement aux classes privilégiées ou aux classes moyennes. Les noirs sont très souvent pauvres, ce qui s’explique bien sûr par l’histoire de ce pays. Et qu’observe-t-on ? Pour les blancs, les différences sont somme toute assez peu significatives. Par contre, on peut tirer deux enseignements fondamentaux. D’une part, pour les noirs (donc les pauvres), on constate que la présence dans les petites classes représente un avantage conséquent pour l’accès aux études supérieures. Et aussi le fait d’avoir pu bénéficier de remédiations, même si c’est clairement dans une moindre mesure. D’autre part, on observe aussi que les écarts sont assez faibles entre blancs et noirs ayant fréquenté les petites classes (petite flèche). Et qu’ils sont au contraire très grands parmi ceux qui ont fréquenté les classes normales (grande flèche). Le bloc le plus à droite concerne les free lunch, donc les pauvres, et cette fois toutes ethnies confondues. On retrouve le même type d’enseignements. Et on peut constater qu’ici les taux d’accès sont plus faibles. Ce qui est malheureusement normal puisqu’ici tous les pauvres se retrouvent. Ça illustre au passage que parmi les noirs américains il y a aussi des familles de classe moyenne et même de la grande bourgeoisie, même s’ils sont statistiquement moins nombreux.
Il ressort de cette enquête de grande ampleur que, quel que soit le critère, les jeunes de milieux populaires bénéficient largement de la fréquentation de classes peu peuplées dans les premières années de leur scolarité. Ces critères peuvent être les niveaux atteints juste après la fréquentation des petites classes. Mais aussi les niveaux atteints beaucoup plus tard. Au point qu’on obtient également des taux significativement meilleurs tant pour la diplomation du secondaire que pour l’accès à l’enseignement supérieur. Enfin si on regarde des critères moins directement académiques, comme les taux de décrochage ou d’absentéisme, l’avantage va toujours aux « petites classes » même de nombreuses années après avoir été replacés dans des classes normales.
En 1962, le gouvernement suédois vote une loi qui limite formellement la taille des classes. Les normes deviennent maximum 25 élèves dans les trois premières classes du primaire et maximum 30 pour les années suivantes jusqu’à la fin de l’enseignement obligatoire, soit, à l’époque, la troisième secondaire. On pourrait en conclure justement que ce n’est pas très ambitieux. Mais l’intérêt par rapport à l’étude dont nous allons parler, c’est que cette réforme entraîne un dédoublement automatique dès que les normes sont dépassées. Autrement dit, dès qu’un 26ème ou un 31ème élève entre en compte, un dédoublement s’opère mécaniquement. Indépendamment de toute volonté de la direction, qui reçoit évidemment, tout aussi mécaniquement, les moyens pour l’organiser. Apparaissent à certains endroits des petites classes de 12 ou 13 élèves au début de la scolarité et de 15 ou 16 les années ultérieures. A d’autres endroits, on peut encore observer des classes de tailles conséquentes. Jusqu’à 25 ou 30 enfants, donc, selon le niveau.
Beaucoup plus tard, soit en 2011, une équipe de chercheurs décide d’essayer de déterminer les effets à long terme de la réduction de la taille des classes sur les individus concernés. Pour ce faire, ils observent des cohortes d’élèves dont certains étaient dans des petites classes lors des trois dernières années de primaire et d’autres dans des classes beaucoup plus grandes. Les chercheurs suivent ensuite ces cohortes dans l’enseignement secondaire, puis dans le supérieur, et enfin dans la vie active. Ce qui leur permet de montrer que les élèves qui ont fréquenté les petites classes obtiennent de meilleurs scores tant dans les compétences cognitives que non cognitives (attitudes, socialisations, etc.). Cette enquête est particulièrement technique. Elle donne lieu à la production de tableaux et de graphiques très intéressants, mais qui sont malheureusement assez hermétiques. Alors nous nous contenterons de remarquer que les bénéfices des petites classes se marquent à 13 ans, soit juste après la fréquentation de celles-ci. Mais qu’ils s’observent aussi à 16 ans et à 18 ans, soit beaucoup plus tard. Enfin, les chercheurs ont patiemment reconstitué les carrières professionnelles et ont pu mesurer des avantages salariaux entre 27 et 42 ans en fonction de la taille des classes fréquentées en primaire ! Ça peut sembler étonnant, mais on constate une augmentation salariale de 1,3 % par élève en moins dans la classe fréquentée. Sans rentrer ici dans des considérations économiques, la seule manière d’expliquer cette corrélation est d’admettre que ceux qui ont fréquenté les plus petites classes ont majoritairement pu mener à bien des études supérieures qui les ont conduits à exercer des professions mieux rémunérées. Comme cette donnée est statistiquement significative, ça indique qu’ils ont gardé jusqu’à ce niveau des études supérieures un avantage à avoir fréquenté des classes moins peuplées en primaire.
Taille des classes : une méta-analyse très parlante
L’Institut des Politiques Publiques (IPP), un organisme français essentiellement subventionné par les pouvoirs publics, a pour objectif de fournir à ceux-ci des recommandations en termes de politiques publiques. Il est constitué d’économistes et c’est donc avec des lunettes propres à leur profession qu’ils travaillent. En 2017, cet organisme a décidé de réaliser une étude afin de formuler des recommandations au gouvernement français dans le domaine de la taille des classes. L’intérêt de cette étude est qu’il s’agit d’une méta-analyse. Ça signifie que les chercheurs français ont compilé et comparé différentes études sur ce sujet. Ils ont regardé s’il y avait des constantes dans les résultats. Peut-être aussi des contradictions. Ils ont tâché de voir, dans ce cas, s’il était possible de les expliquer, et s’il était possible de déterminer lesquelles seraient les plus fiables et pourquoi.
En tout, ils ont analysé 11 études venant de différents pays. Parmi lesquelles l’enquête STAR ainsi que l’étude suédoise (Fredriksson & al., 2012) dont nous avons déjà parlé.
Quelles sont les conclusions de cette étude ? En gros, on pourrait les résumer en deux phrases :
Une autre conclusion de l’équipe française, c’est qu’il n’est pas toujours aisé d’interpréter les enquêtes réalisées parce que certaines souffrent de ce qu’on appelle en statistique des biais. Un exemple de biais assez fréquent est le suivant. Si une équipe de chercheurs dit au directeur d’une école : « Constituez des plus petites classes par rapport aux normes et notre université financera la différence de coûts », que risque-t-il de se passer ? Le directeur a déjà bien en tête que les plus petites classes sont plutôt susceptibles de profiter aux élèves plus faibles. Consciemment ou non, il pourrait alors être tenté de regrouper dans les petites classes créées artificiellement des élèves dont il sait ou soupçonne qu’ils sont plus faibles. Il le fait avec les meilleures intentions du monde. Mais en faisant cela, il crée de la ségrégation en interne de l’école, rendant les conditions d’apprentissage plus compliquées dans des classes pourtant plus petites, puisque les difficultés y sont concentrées. On pourrait alors avoir comme résultat que les niveaux des petites classes sont plus faibles. C’est typiquement un biais statistique. Qui se retrouve dans plusieurs des enquêtes observées dans cette méta-analyse.
Comment faire pour éviter ce biais ? Une première méthode est ce qui s’appelle en jargon une expérience randomisée. C’est-à-dire une expérience dans laquelle l’affectation des élèves en petites ou grandes classes se fait tout à fait au hasard. C’est le cas de l’expérience STAR puisque ce sont les chercheurs qui ont réalisé les compositions de classes sur base de listes de noms. Même chose d’ailleurs pour l’attribution des enseignants aux différentes classes. Là, le biais aurait pu se faire dans l’autre sens, les enseignants expérimentés pouvant influencer leur direction pour se voir attribuer les plus petites classes, dans lesquelles ils savent qu’il est plus agréable de travailler. On voit donc ici tout l’intérêt de l’étude STAR qui évite ces biais.
Une autre façon d’éviter les biais est d’étudier des « quasi-expériences », quand on compare les résultats des élèves en petites et grandes classes constituées essentiellement par hasard. Comme ce fut le cas en Suède, puisque les dédoublements de classe se faisaient en fonction de l’arrivée d’un élève en plus ou en moins. Ce qui étaye les résultats de l’enquête suédoise.
Neuf des onze études analysées consistaient à réduire la taille de certaines classes au niveau de l’enseignement primaire. Sur ces neuf études, sept ont donné clairement des résultats significatifs :
Les deux dernières études analysées consistaient à mesurer l’effet de la réduction de la taille des classes au niveau du secondaire. Il s’agit d’une étude norvégienne et d’une française. Dans ce cas, les effets mesurés ont été très faibles. Pourquoi ? L’étude ne permet évidemment pas de répondre à cette question. Mais on peut peut-être supposer que des mesures prises à ce niveau sont sans doute trop tardives. D’une part, des élèves qui auraient vu se développer un rapport négatif à l’école et au savoir pendant leur prime enfance éprouveraient sans doute beaucoup de difficulté à inverser cette mentalité une fois dans le secondaire. D’autre part, les retards accumulés seraient d’une ampleur telle qu’ils deviendraient quasi impossibles à combler dans le secondaire, même dans des petites classes.
Autre élément très important. Dans aucune des études passées en revue par l’IPP, la diminution de la taille n’a été accompagnée par une quelconque réforme de la formation des enseignants. Ni à l’échelle du pays ni localement par rapport aux profs concernés par l’expérience. Et ça n’a donc pas empêché de donner des résultats globalement très positifs. Qu’on nous comprenne bien. L’idée n’est pas ici de dire qu’il ne faut pas réformer la formation des enseignants pour mieux les outiller. Les chercheurs français disent d’ailleurs explicitement que si on le faisait, on obtiendrait très vraisemblablement des résultats encore meilleurs. Simplement, il s’agit de réfuter l’idée qu’il serait d’abord nécessaire de réformer la formation des enseignants avant toute mesure concernant la taille des classes. C’est totalement faux. Et il serait probablement plus judicieux de commencer dans l’autre sens.
Reste la question du pourquoi ça marche. Là encore les chercheurs en sont réduits aux hypothèses. Mais celles qu’ils avancent semblent de bon sens à tout enseignant un tant soit peu expérimenté:
Les chercheurs de l’IPP terminent évidemment par ce qui est leur raison d’être : des recommandations, en l’occurrence au gouvernement français. En réalité, ici, il s’agit surtout d’une recommandation centrale. Se concentrer sur les milieux populaires. Autrement dit, adopter des mesures significatives de réduction de taille des classes dans les écoles fréquentées majoritairement par des jeunes issus de milieux socio-économiquement défavorisés. Ils ne recommandent donc pas d’adopter de telles mesures de manière généralisée. Pourquoi ? Leur argument est double. D’une part, ça coûterait vraiment trop cher. D’autre part, ça risquerait de diminuer la qualité du recrutement des enseignants. Puisqu’il en faudrait beaucoup plus, on risquerait d’être moins regardant sur les compétences, surtout en période de pénurie comme ça semble aussi être le cas en France. Et ils ajoutent même un dernier argument. Puisque manifestement ces mesures profitent davantage aux enfants des classes populaires, ce serait politiquement plus « rentable » de le faire et ça permettrait de réduire efficacement les inégalités. Et de terminer par une considération purement économique, en disant que la mesure pourrait même être, à terme, rentable pour l’État. Ce serait le cas, ont-ils calculé, si le gain salarial de deux années passées dans une classe dédoublée est supérieur à 1 %.
Par rapport à ces considérations, nous avons un regard plus critique. Concernant la toute dernière, notamment. En effet, le capitalisme ne rémunère certaines compétences que si elles ne sont pas partagées par tous. Si elles devaient l’être parce que tout le monde fait des études supérieures, alors il va de soi que ces compétences perdraient leur valeur économique ou en tout cas leur valeur compétitive et ne seraient plus rémunérées comme telles. Mais somme toute, ceci nous éloigne de notre sujet. Revenons aux arguments plus fondamentaux pour nous. D’abord celui du coût, qui est bien réel. La seule réponse à apporter est évidemment celle du choix politique. Dire que l’enseignement est la priorité des priorités, comme le font nos gouvernements tant en France qu’en Belgique, et puis se réfugier derrière les coûts n’est pas très cohérent. Les moyens ne manquent pas dans nos pays riches qui n’ont jamais produit autant (hors crise sanitaire ça va de soi). Une politique fiscale juste devrait permettre des investissements publics là où ils sont nécessaires et jugés prioritaires.
Pour ce qui est de la lutte contre les inégalités, il faut analyser les choses globalement. Le plus grand facteur causal des inégalités scolaires n’est pas la taille des classes, même s’il est important comme nous l’avons vu, mais bien la ségrégation qui se joue sur un marché scolaire. S’attaquer aux inégalités est impossible sans s’attaquer à ce marché et aux ségrégations qu’il provoque. Par conséquent, une solution qui consisterait à prendre des mesures uniquement dans les écoles dites ghettos ne peut pas représenter pour nous une solution fondamentale puisque l’enjeu est précisément d’éviter la formation de ces ghettos !
Evidemment, en attendant, on peut toujours imaginer la solution préconisée par l’IPP comme étant une possibilité d’améliorer les conditions d’enseignement là où elles sont les plus difficiles. Mais il ne faut pas se cacher qu’il existe un risque d’effet pervers. Celui de voir les écoles concernées montrées du doigt aux familles des classes moyennes comme établissements à éviter absolument ! Dans un marché scolaire, le risque n’est pas nul et la conséquence serait alors un renforcement de la ségrégation et une possibilité d’aggravation des inégalités. On le voit, l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Le seul argument qu’on pourrait rétorquer à ce dernier point, c’est que ces écoles sont déjà bien connues pour diverses raisons et que toute nouvelle mesure ne pourrait sans doute pas les désigner davantage. C’est pourquoi on pourrait sans doute considérer la mesure de réduction ciblée comme acceptable dans un premier temps. Mais certainement pas comme LA solution miracle.
Jean-Pierre Kerckhofs dans L’École démocratique, n°85, mars 2021 (pp. 4-10).
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