Par Bruno HUMBEECK*
Chaque époque a inventé une manière de disqualifier sa jeunesse. Aujourd'hui, la manière de la flinguer c'est de l'acculer à la peur et de la convaincre de sa médiocrité et, pire encore, de la convaincre qu'en raison de sa nullité, elle a tout à craindre de l'avenir.
C'est pour cela que ceux qui, du haut de la supériorité qu'ils attribuent à leur propre génération, ne cessent de hurler que le niveau baisse et que la génération actuelle serait moins intelligente, moins instruite, moins courageuse, moins responsable et moins tout ce que l'on veut que celle à laquelle ils appartiennent ont tendance à m'agacer.
Cela fait des décennies que l'on clame, "preuves" à l'appui, que le niveau baisse et que l'instruction va dans le mur. À écouter chacune de ces générations, on a bien, depuis, dû finir par toucher le fond et l'on aurait du inévitablement s'être fracassé contre ce fameux mur... Et pourtant non, le monde est toujours là et le contingent de crétins et de génies de chacune des générations amenées à le peupler semble bien y faire figure d'invariant...
Le niveau ne baisse pas d'une génération à l'autre, il change juste de forme. C'est somme toute logique dans la mesure où l'instruction scolaire, dans un monde qui change, doit nécessairement tenir compte des caractéristiques propres au mouvement de société qui s'y manifeste. C'est pour cela que fustiger le niveau scolaire, comme on l'entend çà et là, en évoquant une forme de crétinisme digital ou de collapsologie scolaire n'a pas beaucoup de sens. Cette attitude méprisante face à la qualité du parcours scolaire des plus jeunes apparait inutilement arrogante d'une part parce que l'instruction scolaire n'assure qu'une partie des apprentissages nécessaires pour se développer et d'autre part parce que la scolarité performante n'est pas, tant s'en faut, l'unique moyen de s'assurer un avenir quand on est jeune.
En cette période de fin d'évaluation, il est sans doute bon de rappeler aux parents que la réussite scolaire n'est, en effet, pas le seul baromètre qui permet de prédire un avenir positif pour leurs enfants. Les enfants ne sont en effet pas que des élèves et l'identité d'un adolescent ne se réduit pas à celle de l'étudiant qu'il s'efforce d'être avec plus ou moins d'assiduité. Personne, en tout cas, ne doit être réduit à ce que révèle de lui un bulletin scolaire.
L'école, c'est un peu comme une chaussure de pointure quarante deux. C'est bien pour ceux qui ont cette pointure. Elle leur permet d'avancer confortablement et même, s'il le faut, de presser le pas mais elle ne convient pas pour ceux qui ont un pied plus grand ou plus petit. Pour ceux-là, heureusement, il n'y a pas que l'école et il y a mille et une autres façons de trouver une chaussure qui convient à leur pointure pour leur permettre d'avancer dans la vie...
L'essentiel, en définitive, n'est-il pas, pour l'enfant et, plus encore, l'adolescent, d'apprendre, à travers l'éducation qu'il reçoit, à s'approprier sa vie en se développant dans le domaine qui lui convient le mieux ? Or cela, cela ne s'apprend de toute évidence pas exclusivement à l'école mais partout où on peut le faire en étant entouré d'adultes dont le regard ne fustige pas et ne dénigre pas la génération qui les suit mais la regarde, au contraire, avancer avec bienveillance en s'efforçant au mieux d'entendre sans inquiétude excessive et en se gardant bien de toute forme de mépris condescendant, la marche du temps auquel cette nouvelle génération appartient...
* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons.