Seconde session, seconde chance?

Publié par les CEMÉA en juillet 2019

La dernière semaine du mois de juin est pour certain-e-s, l’heure des réjouissances familiales face à la réussite des enfants. Pour d’autres, à qui l’on vient d’annoncer une 2e session, la joie n’est pas au rendez-vous. À la radio, à la même époque, on entend de drôles de refrains: «La réussite de votre année est à portée de main», «L’année scolaire de votre ado a été difficile? Offrez-lui la réussite»…

Comment un-e élève peut-il-elle comprendre en deux mois, seul-e, ce qu’il-elle n’a pas réussi à apprendre en dix mois, avec l’aide de l’enseignant-e ou de la classe? Là est la question que l’on devrait se poser par rapport à l’organisation d’une 2e session. Certain-e-s la présentent comme une 2e chance offerte à l’élève… Le terme «chance» est de plus en plus un contre-emploi dans les concepts liés à l’éducation, comme dans celui «égalité des chances». Il y a soit de l’égalité, soit des chances, mais l’un ne va pas avec l’autre.

Comme de nombreuses pratiques dans notre système éducatif, les examens «de repêchage» n’ont aucun sens dans une école censée accompagner les individus dans leurs apprentissages. Ils n’ont aucun sens dans un système qui doit offrir les mêmes chances à toutes et tous les enfants quel que soit leur niveau social. Pourtant, ces examens restent une arme de sanction, de punition, de relégation. Dans un système, où seul un élève sur deux ne redouble pas avant ses 15 ans, la recherche perpétuelle de l’excellence individuelle est synonyme de phobie scolaire, de déscolarisation, de souffrance, de pression pour un nombre de plus en plus croissant de jeunes.


Dans notre école, l’échec a un rôle punitif, il n’est pas une erreur qui permettrait d’apprendre, de progresser, de comprendre pourquoi l’élève n’a pas réussi à répondre aux compétences attendues. Dans notre école, l’échec est considéré comme une manière d’évaluer, de sanctionner le travail ou le comportement. D’ailleurs, trop souvent une forme de jugement des personnes derrière les résultats scolaires communiqués. Combien de fois n’entend-on pas que, au mois de juin, les élèves sont évalué-e-s! Non, les élèves ne sont pas évalué-e-s, c’est leur travail qui est évalué. La nuance est importante et fondamentale: il ne s’agit pas de juger une personne, mais bien le travail qu’il-elle a fourni, ou encore le travail qui se laisse entrevoir à travers l’examen proposé. 


Une des raisons évoquée pour justifier un examen de 2e session est la question du travail, résumée volontiers par cette courte phrase «Tu n’as pas assez travaillé !». Cela, aucun-e enseignant-e ne peut en avoir la certitude. Certain-e-s élèves travaillent peu pour «réussir», d’autres triment sans que ce ne soit jamais suffisant. Dans cette manière d’envisager les choses, l’élève porte seul-e la responsabilité de son échec. Qu’en est-il de celle des enseignant-e-s, des établissements, du système scolaire et des choix pédagogiques? Comment peut-on dire à un-e adolescent-e qui est allé-e à l’école durant 10 mois qu’il-elle va devoir se passer de vacances? Un peu comme si un-e patron-ne déclarait à son employé-e la veille de ses congés : «Tout compte fait, tu n’as pas atteint tes objectifs de l’année alors tu feras cela pendant tes vacances?». Serions-nous d’accord? Les vacances, l’esprit libre des soucis scolaires, sont, sans aucun doute nécessaires à tous-toutes les jeunes, comme elles le sont à toutes-tous les adultes. Seul-e-s les plus méritant-e-s y auraient-ils-elles droit?


La grande réforme de l’éducation, le pacte pour un enseignement d’excellence, a été centrée principalement sur l’aspect discriminant de notre système scolaire. En effet, nous en avons été déclaré-e-s champion-ne-s du monde suite aux dernières enquêtes PISA! Pourtant, la 2e session est toujours d’actualité. Ce procédé peut être considéré comme une opportunité donnée aux élèves, et c’est sans doute comme cela que c’est perçu par la plupart des enseignant-e-s. Cependant, on peut aussi y voir une manière de permettre à certain-e-s enfants, souvent issu-e-s des classes privilégiées, de suivre des cours particuliers intensifs, des cours de méthodologie, des stages d’immersion, de remédiation, d’échec à l’échec… Ainsi, l’aspect discriminant de l’institution scolaire est renforcé!

Dans notre système scolaire, la chance, c’est trop souvent celle d’être né-e dans la « bonne» famille. Dans la famille Le Quenoy plutôt que dans la famille Groseille. La « 2e chance» est-elle la même pour le-la petit-e Le Quenoy qui aura pu d’abord profiter de vacances avec ses parents en juillet et des cours particuliers à 30€ de l’heure tout au long du mois d’août, alors que l’enfant Groseille aura, lui-elle, passé tout son été chez lui-elle sans aucune aide ? 

Tout est simple dans le monde magnifique de la marchandisation de l’éducation. Il suffit de sortir sa carte bancaire pour trouver « les clefs de la réussite ». Et l’école, malheureusement, y contribue! Les examens de passage sont d’une efficacité redoutable dans cette marche vers la privatisation de l’éducation et de l’enseignement socialement discriminatoire. Cette pratique avait peut-être un sens au 20e siècle; de nos jours, elle devient, surtout, une source de revenus pour tous et toutes les «marchand-e-s du temple» de l’éducation.

Il est temps pour l’école d’arrêter de trier les élèves, et de, plutôt, les faire «grandir»? Elle pourrait déjà commencer par interrompre pendant les grandes vacances ce qu’elle fait très bien de septembre à juin! 

Le groupe école des CEMÉA


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