Par Bruno HUMBEECK*
Mettre en scène des enfants qui ont réussi leur CEB comme on ritualise les proclamations universitaires en les affublant d'une toge et en les coiffant d'une toque académique, c'est un peu comme une façon de déplacer le carnaval en plein mois de juin.
Cela peut être amusant mais c'est incontestablement absurde et cela contribue encore à ajouter de la confusion au sens que l'on donne à cette évaluation quand on en fait un instrument de filtrage anticipé ou de distinction précoce.Quel sens peut-on, en effet, donner à l'idée d'habiller des enfants d'une douzaine d'années d'un costume associé à une réussite universitaire au sein d'une promotion qui entendait, par là, affirmer son prestige ? En effet, contrairement à ce que l'on pense, la tradition de la toge académique ne nous vient pas des Etats-Unis mais de l'Europe médiévale quand, en Italie, en France, en Espagne et en Angleterre, dans les premières universités (Bologne, Oxford, Sorbonne) au XIIIème siècle, il signifiait la fin de la vie d'étudiant et sanctionnait la réussite universitaire en affirmant le statut prestigieux de l'université ou de la corporation professionnelle pourvoyeuse du diplôme .
Les universités américaines, particulièrement sensibles à cette notion de prestige, ont tout naturellement repris ce cérémonial pour affirmer haut et fort la qualité de leurs écoles supérieures et de leurs universités. Par ailleurs, le geste de lancer la toque en fin de proclamation, lui, est typiquement américain. Il date de 1922 et évoque celui que réalisaient les finissants de l'Académie navale américaine pour signifier qu'ils n'étaient plus des "apprentis" et pouvaient s'émanciper de l'obéissance liée à ce statut.
Affirmation du prestige de l'école, émancipation vis-à-vis d'une forme d'obéissance, changement de statut, reconnaissance de l'appartenance à une corporation... Rien de tout cela évidemment n'est en jeu dans la réussite d'un CEB puisqu'il n'est question que d'enfants transformés en élèves par la magie de l'école qui resteront des élèves au delà de la réussite (ou de l'échec) du CEB et n'accéderont même pas par leur entrée en école secondaire au statut d'étudiant.
L'école secondaire en effet accueille des élèves, c'est-à-dire des enfants qui grandissent (qui s'élèvent) avec le soutien toujours nécessaire d'adultes qui s'engagent à participer à leur développement et aucun d'entre eux ne sera tenu de se métamorphoser brutalement en étudiant c'est-à-dire à devenir subitement quelqu'un qui s'applique à apprendre quelque chose par ses propres moyens dans un domaine de développement qu'il s'est choisi. Le terme étudiant, parce qu'il suppose l'autonomie acquise, doit être strictement réservé à ce type d'études...
Confondre le statut d'élève avec celui d'étudiant, ce n'est pas qu'une question de cosmétique sémantique, c'est littéralement une manière de mettre en place les conditions d'un épouvantable flou pédagogique qui emmêle les techniques didactiques utilisées lors de l'enseignement secondaire avec celles dont on fait davantage l'économie en enseignement supérieur.
Les enfants qui viennent de passer leur CEB ont encore besoin d'être considérés comme des élèves parce qu'ils ont évidemment toujours besoin d'adultes pour les accompagner dans leurs apprentissages et qu'il ne peut être question de les considérer comme capables d'apprendre systématiquement et complètement par leurs propres moyens en s'appliquant à aller chercher les connaissances dont ils ont besoins parmi celles qui sont mises à la disposition de la communauté d'étudiants dont ils font partie.
Bref, tout ce cérémonial carnavalesque associé à la réussite du CEB est un peu ridicule dans la forme qu'il prend. Cela pourrait juste prêter à sourire si l'épreuve certificative, dans la manière dont elle est présentée, ne produisait pas à priori déjà autant de dégâts en générant dans la communauté éducative un stress inapproprié et surtout, maintenant que les résultats ont été donnés sous forme de statistiques inhumaines, auprès des 15% qui n'ont pas acquis le droit de se pavaner dans une toge, de lancer une toque et de participer à ce carnaval inapproprié.
Exclus de ce stupide cérémonial, ils ont déjà, à douze ans, l'impression d'être boutés hors de la "corporation" de ceux qui sont autorisés à participer à la cérémonie parce qu'ils n'ont pas le droit, eux, de se déguiser.
C'est pour cela que, pour ma part, je préfère à ce cérémonial carnavalesque le vrai carnaval, celui qui se déroule en février, manifeste la fin de l'hiver, n'a que faire du prestige des uns et des autres et, surtout, surtout, n'exclut personne.
* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons.