Article publié en janvier 2020 par Les CEMÉA
Parmi toutes les initiatives et les volontés de rendre l’École plus bienveillante et de développer les compétences relationnelles des enfants, une nouvelle idée émerge : celle de créer des cours d’empathie. Venant du Danemark, cette heure de classe semble susciter beaucoup d’engouement de la part des enseignant-e-s, mais aussi des parents. À l’heure où le harcèlement est une problématique devenue courante dans chaque école et où le constat est flagrant que les enfants ont de plus en plus de difficultés à vivre des relations sereines entre elles-eux, l’idée paraît tomber à pic! Si l’objectif semble clair, il soulève tout de même quelques questions.
Si l’empathie se voit dédier une heure particulière sur la semaine, devient-elle alors une discipline, au même titre que la géographie, les sciences ou la conjugaison? Est-ce que cette compétence peut s’apprendre dans des livres, avec des exercices, avec, éventuellement, une évaluation à la clef? Or, si l’on se penche sur la définition de l’empathie, elle parle d’une faculté intuitive à reconnaître et à comprendre les émotions d’un autre individu, de pouvoir se décentrer de soi pour se mettre à la place d’autrui (Larousse). De toute évidence, cela est loin d’être simple et naturel. Mais ce n’est pas non plus quelque chose qui se dispense, qui se transmet au travers de manuels scolaires. C’est une compétence, une intelligence qui se construit tout au long de la vie. Surtout, c’est une qualité que l’on cultive parce qu’on la vit dans son quotidien. Pour que les enfants soient en capacité d’empathie envers leurs pairs, il est nécessaire et indispensable que les adultes qui les entourent fassent preuve eux-elles-mêmes de cette empathie. Et la tâche est compliquée pour les enseignant-e-s.
«C’est extrêmement important qu’un enseignant montre qu’il est capable de s’occuper d’un élève qui ne va pas bien… Si l’adulte essaie de comprendre le jeune, ses émotions, qu’il montre de la sollicitude empathique, les autres enfants vont apprendre comment on fait vis-à-vis de quelqu’un qui est en détresse. Quand on sait que cet apprentissage émotionnel va influencer l’intellect, le développement du cerveau cognitif, on comprend que ce n’est pas une perte de temps pour les enseignants, bien au contraire.» Catherine Gueguen
En effet, notre système scolaire met les enfants en compétition, les entraîne à un système dichotomique: réussite ou échec. Il laisse donc peu de place à la compréhension de l’autre et de ses émotions dans cette course où tous et toutes doivent avancer au même rythme. Écouter les émotions qui fusent de vingt-cinq enfants, ce n’est pas facile. Entendre chacun-e dans son vécu et chercher ensemble, enseignant-e et enfant, une solution pour les surmonter, c’est complexe et chronophage. Par conséquent, un-e enfant en colère peut rarement l’exprimer, un-e qui pleure doit arrêter rapidement, un-e jeune qui rit à un moment inopportun pour l’adulte doit se calmer, la frustration face à un exercice compliqué est minimisée… Nous constatons que nous, adultes, nous ne sommes pas entraîné-e-s à ça. Notre société ne favorise pas l’expression des émotions et encore moins leur écoute. En plus, il faut comprendre le développement psychique des enfants et des jeunes pour appréhender ce qui se passe pour eux-elles. Ce n’est pas toujours évident de comprendre pourquoi l’émotion se produit chez l’autre. Pourquoi Louise, 4 ans, fond en larmes parce que sa pomme est coupée en quatre et pas en deux? Pourquoi Rémi, adolescent, refuse de participer au cours de natation? Pour des adultes, les réactions semblent souvent inadaptées ou disproportionnées, et pourtant, l’émotion que vit l’enfant ou le-la jeune est bien réelle. Il est donc important de ne pas la minimiser, la rejeter, voire de la nier. D’une certaine manière, décoder pourquoi Louise ne veut pas manger une pomme coupée en quatre importe peu. Ce qui compte, c’est d’entendre sa frustration, sa déception, sa colère et de savoir que ça fait partie de son développement de vivre des ambivalences et d’être en difficulté avec la gestion de ses émotions. Vouloir taire ces dernières ne permet pas d’apprendre à les gérer, les écouter, les identifier et les traiter. L’École ne peut pas faire l’économie d’envisager l’enfant dans sa globalité, comme la personne qu’il-elle est. Son cerveau est là, mais tout le reste aussi. À tout moment.
Défendre un discours plus empathique à l’égard des enfants, des jeunes et de leurs émotions ne signifient pas pour autant tout accepter. Il serait dangereux de faire le raccourci entre accueillir l’émotion et laisser l’enfant ou le-la jeune l’exprimer de n’importe quelle manière. Tous les comportements ne sont pas permis. Les règles organisent la collectivité, contiennent les enfants et permettent de protéger tout le monde. Si un-e enfant est en colère parce qu’il-elle doit attendre son tour, il-elle ne peut néanmoins pas lancer ses affaires à travers la classe. Si l’adulte prend le temps de comprendre sa colère, il-elle doit aussi l’accompagner dans la gestion de l’expression de celle-ci. Chercher ensemble des solutions entraîne l’enfant à identifier ce qui se passe en lui-elle et à trouver une manière plus adéquate de le manifester. C’est un travail quotidien, fatigant et prenant, mais nécessaire à la construction de l’image que se créent les enfants des relations entre individus. De cette manière, ilselles pourront faire preuve d’empathie à l’égard des autres. Parce qu’elles-ils l’auront vécue, éprouvée et qu’elle sera intégrée comme un savoir-être précieux pour être avec soi et avec les autres. Et parce qu’éduquer à la collectivité et, par extension, éduquer à vivre dans la société, c’est bel et bien une des missions de l’école.
Les adultes sont donc responsables de faire vivre l’empathie aux enfants afin qu’ils-elles-mêmes puissent l’exercer avec les autres. Si les enfants avaient dans leur horaire une heure d’empathie, au fond, pourquoi pas, à condition qu’ils-elles la vivent pendant tous les autres moments à l’école! Être empathique, c’est plus qu’une responsabilité individuelle, c’est un choix de société. Ce n’est pas une compétence qu’il faut mobiliser pour obtenir ce qu’on veut de l’autre, comme un outil que l’on sortirait de sa boîte pour arriver à ses fins, mais bien une attitude, quelque chose d’ancrer en soi qui entretient la bienveillance, et qui, pour le moment, manque cruellement à l’École et dans notre société.
Le Groupe École des CEMÉA