Par Bruno HUMBEECK*, publié le 20/09/2022.
Intrépide, impassible et imperturbable... Ces qualités qui signifient que l'on est imperméable à la peur, insubmersible face à tout ce qui ressemble à une émotion et détaché de tous les affects qui pourraient faire obstacle à la ligne droite que l'on s'est fixée, collent davantage à l'image que l'on donne à nos enfants de ce qu'est un héros que l'idée d'une personne capable d'écouter ses peurs, d'être attentive à ses émotions quand elles se réveillent au contact du monde et de se laisser toucher par ce qui lui arrive comme à ce qui bouleverse ceux qui l'entourent...
Les hyper-sensibles s'ils sont présentés comme des héros ne le sont que dans les films comiques dans lesquels ils prennent d'emblée la forme un peu ridicule d'hyper-émotifs qui pleurent pour un rien ou tremblent pour n'importe quoi...
Dés le début du cinéma, alors qu'il ne parlait pas encore, on apprend ainsi à rire de Stan Laurel quand il s'inonde de larmes ou de Charlot quand il se met à trembler de toutes ses jambes alors que l'on admire le calme imperturbable de John Wayne dans le prototype du héros, cow-boy solitaire, qui économise davantage ses émotions que ses balles...
Ces modèles nés sur les fonds baptismaux du cinéma ont de toute évidence la vie dure... Ils imprègnent notre inconscient collectif et modélisent les envies de grandir de nos enfants en faisant des émotions qui sont pourtant le sel de nos vies, des mouvements dont l'expression traduit, encore plus chez les petits garçons que chez les petites filles, des moments de faiblesse qu'il faut le plus possible se donner les moyens d'éviter...
Les "tu es grand maintenant, tu n'as plus à avoir peur !" et autres "tu n'as pas honte de pleurer devant tout le monde à ton âge !" finissent alors par discréditer les émotions en confondant l'émotivité, c'est-à-dire la tendance à ne pas savoir contrôler ses affects même quand le seuil de stimulation est trés bas avec la sensibilité qui définit l'aptitude à éprouver consciemment ce panel d'émotions qui transforment le flegme en délicatesse, l'indifférence rationnelle en sensibilité artistique, le détachement assumé en indignation face à l'injustice et l'attention portée exclusivement à son en souci empathique des autres...
Sans émotion, il n'y a pas de couleurs dans la vie. Les hyper-sensibles sont des coloristes qui, dans les yeux qu'ils posent sur le monde, mettent une palette complète au service de leur regard. Ce sont ces couleurs que l'on doit transmettre aux enfants si on veut éviter qu'ils ne prennent comme modèle que ces héros solitaires qui jettent un regard froid sur un monde morne et gris et ne pensent jamais pour résoudre les difficultés du monde qu'à flinguer tout ce qui autour d'eux semble être à l'origine du trouble...
C'est pour cela que lorsqu'il s'agit par exemple de mettre en place des dispositifs de prévention du harcèlement je me méfie de ces appels à l'héroïsme pour venir en aide à celui qui en est la cible alors qu'il est juste question de réveiller chez chacun le sens humain qui l'invite dans les situations de détresse émotionnelle à réagir de manière appropriée... Les espaces de parole régulés ne mettent pas en scène des héros, juste des enfants, des adolescents soucieux de se montrer suffisamment sensibles pour se révéler humains, véritablement humains...
C'est de tout cela dont il est question dans cette nouvelle émission de "Tendance première" au cours de laquelle avec Véronique Tiberghien et Cédric Wautiez, nous parlons d'émotions pour que les hyper-sensibles ne se sentent pas stigmatisés et que les hypo-sensibles comprennent que derrière ce qu'ils définissent comme une qualité qui fait l'étoffe des héros, se cache peut-être une partie du problème...
* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons.