Texte publié par les CEMÉA en spetembre 2022. Titre original : "C'est parti pour une année sans COVID!"
Si vous étiez déjà en classe à la fin du siècle dernier, le mois d’août 1996 vous a sans doute marqué-e-s. Un quart de siècle plus tard, chacun-e peut dire ce qui a changé, dans nos écoles, dans la société et, même, au quotidien dans nos familles, suite à «l’affaire Dutroux». Avec le recul nécessaire, nous identifions clairement des conséquences de ce drame sur nos vies et, surtout, sur celles de nos enfants, de nos élèves: la perte d’une certaine autonomie, d’une certaine insouciance, d’une certaine liberté. Que dirons-nous en mars 2045 ? S’il est vrai que les masques sont désormais tombés, il reste encore beaucoup de stigmates des 2 années de pandémie, points de rupture depuis mars 2020 pour beaucoup d’entre nous. Les marquages au sol, les désinfectants, les affichettes «port du masque obligatoire» et autres plexiglass sont encore apparents autour de nous, rappelant sans cesse l’invasion du virus. Les séquelles invisibles sont, quant à elles, plus pernicieuses…
Tout le monde est assez d’accord pour dire que nos vies, notre santé mentale, nos relations et nos comportements ont été impactés. Comment ? On ne le mesure pas encore totalement. La scolarité et le développement des enfants et des adolescent-e-s ont, eux aussi été bouleversés. Cela semblait assez clair tant que nous étions en période de tension : il fallait prendre soin des jeunes à l’école. Aujourd’hui, l’école a repris comme si rien ne s’était passé. On a oublié que certain-e-s enfants ont démarré l’école durant cette étrange période où le groupe, les relations, la proximité ont été mis de côté par «sécurité». Ces enfants doivent donc, d’une certaine manière, se resocialiser. On a oublié que d’autres, en primaire, ont vécu deux années chahutées par le confinement, les absences, les allers-retours à l’école et, puis, ont passé leur CEB. Que de voix se sont élevées pour souligner que le taux de réussite de cette épreuve était le plus bas depuis 10 ans! On a oublié que, dans le supérieur, des étudiant-e-s ont suivi un cursus quasiment à distance. Que nombreux-nombreuses sont celles et ceux qui sont resté-e-s isolé-e-s face à leurs études, devant apprivoiser à la fois une nouvelle vie de jeune adulte et une nouvelle forme d’enseignement. Là aussi, on a beaucoup jasé sur les résultats de différentes sections... Alors, rappelons-nous, face à ces enfants et ces ados, d’être patient-e-s et compréhensif-ve-s. Pensons que ce qu’ellesils ont vécu était dur, déstabilisant et anormal qu’elle que soit leur situation. Acceptons, parfois, de reprendre les choses au début même si cela signifie laisser un peu de côté le savoir. Réfléchissons à ce que nous, adultes, pouvons aménager pour leur permettre de se développer sereinement et comment nous souhaitons les accompagner dans la construction de leurs compétences et de leur bien-être.
Avant le Covid, personne n’aurait pensé mettre toute une école secondaire en distanciel pour une panne de chaudière ! On aurait demandé aux élèves et aux profs de s’habiller chaudement. On aurait fait appel à des sociétés capables de placer des installations temporaires, on aurait squatté les locaux de l’académie de musique voisine. Mais on n’aurait pas fermé l’école… En mars 2020, on s’est vu obligé-e-s d’employer une forme d’enseignement à distance pour pallier la situation. Le distanciel s’est alors imposé à nous et ce fut, certainement, une forme de solution. Mais, la précipitation n’a pas permis d’envisager les limites, les bonnes pratiques, les dangers. Lors du déconfinement, le soulagement a occulté l’envie de cogiter aux contrecoups de cet apprentissage délitant les liens sociaux. Ce distanciel s’est ajouté aux « possibles» avec les élèves : certaines écoles ont imposé aux élèves de s’équiper numériquement; des devoirs, des cours et des exercices sont postés sur des plateformes… Comme si tous les avertissements sur la fracture du numérique et sur les inégalités provoquées n’avaient jamais existé. Mais le distanciel s’insinue aussi dans le travail d’équipe, dans les espaces de formation, dans la communication avec les parents… Effectivement, c’est plus confortable et plus simple! Ne pas faire revenir à l’école le ou la collègue en fourche pour une réunion. Pouvoir se réunir entre enseignant-e-s d’écoles différentes sans devoir se déplacer. Prendre rendez-vous avec les parents en visio ou leur transmettre des infos par messages instantanés... On en viendrait presque à oublier que l’on perd en qualité, en communication, en collectif, en efficacité, en tranquillité... Des éléments essentiels au travail entre êtres humains.
Autres éléments majeurs à l’école, la relation et le lien. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare de constater des hésitations de la part de tous-toutes les acteur-trice-s: les parents ne savent plus si elles-ils doivent rester en dehors de l’école, les enfants ont perdu l’habitude de se toucher et de se faire la bise, les enseignant-e-s ont pris plus de distance. Bien sûr qu’il fallait changer nos habitudes et limiter les entrées et les sorties des écoles pendant la pandémie. Mais, il est nécessaire maintenant de se débarrasser de ce besoin de se protéger des autres. Si l’on souhaite que l’école soit un véritable lieu d’émancipation collective et individuelle, d’apprentissages formels et sociaux, d’entraînement à la société, travaillons à choyer nos relations, nos liens entre professionnel-le-s, enfants, jeunes, adultes dans le quotidien et dans l’extraordinaire. Réinstaurons des espaces et des moments de vraies rencontres où chacun-e entre en contact avec les autres. Sortons découvrir le monde avec les élèves lors d’activités courtes ou de séjours. Accueillons l’extérieur (personnes ou événements) pour nourrir le quotidien. Bref laissons la vie, avec ses richesses et ses difficultés, pénétrer l’école puisqu’elle est un espace partagé où chaque enfant passe.
La peur et la hâte sont souvent très mauvaises conseillères pour faire évoluer une situation. Il a fallu faire «au plus vite» pendant la pandémie. Pourtant, il est important, à l’heure où nous avons un peu de répit, de s’arrêter et d’analyser ce qui s’est installé à l’école, de séparer le bon grain de l’ivraie. Gardons les quelques bénéfices évidents. Et, surtout, prenons soin des personnes (jeunes et adultes) qui font l’école avec une attention particulière à celles que notre système éducatif malmenait déjà avant la pandémie. Car l’école a une mission éducative qui ne peut pas se faire sans être bienveillante. Elle se doit de tenir compte de tous et toutes pour participer à la construction des adultes de demain qui considéreront chaque personne.
Alors, rendez-vous en 2045!