Publié par Bruno Humbeeck* le 08/01/2023
Prise en otage par la violence de la société, la langue a tendance à se réifier, à se durcir et à se mécaniser. Les mots se mettent à traiter des hommes et du vivant comme on parle des choses. Le vocabulaire se brutalise et cherche avant tout l’efficacité impérative.
Les « pourtant », « malgré tout », « en dépit de » et autres « du moins », « mais » et « cependant » s’effacent pour laisser la place à un « du coup » qui prend toute la place.
Désignant, à l’origine sémantique, le mouvement par lequel un corps matériel vient en heurter un autre et l’impression causée par ce qui heurte, la locution dérivée du mot « coup » pour signifier « à la suite de quoi » est devenue littéralement un outil de manipulation intellectuelle qui se pose comme un « syllogisme » qui se prévaut de l’accord implicite du locuteur.
Avec un « du coup », la conséquence s’impose, ne se discute pas et frappe directement par l’évidence que lui attache le locuteur... Du coup, en mettant des « du coup » partout, celui qui s’exprime frappe du sceau d’une évidence absolue ce qu’il dit et impose, sans s’ouvrir à la discussion, tout ce qu’il affirme.
Ce tic, cet abus de langage n’est donc pas seulement un peu agaçant quand il a tendance à se répéter pour initier, relier ou ponctuer toutes les phrases, il appauvrit également la langue d’une manière inédite.
Le « du coup » qui remplace tout, le « du coup » inamovible, se pose alors comme la formule piégeuse par excellence dans laquelle vient s’enferrer la langue quand elle renonce à sa fluidité, à sa plasticité et à son ouverture à la nuance que supposent un lexique qui se refuse de frapper, une sémantique rétive à asséner et une syntaxe réellement soucieuse de signifier sans jamais avoir la prétention d’imposer.
La pauvreté d’un raisonnement s’évalue à l’aune de la qualité et de la précision des mots que l’on utilise pour le développer. C’est pour cela qu’il faut toujours se montrer attentif aux signes qui montrent qu’elle se met à préférer les mots qui cognent à ceux qui s’imbibent de la puissance d’une caresse, à favoriser les expressions qui pilonnent sans nuance à celles qui prennent la précaution de ne s’avancer qu’avec prudence et à privilégier les locutions qui tapent sans discuter à celles qui mettent de la courtoisie dans l’expression pour ouvrir au dialogue...
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* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons. Retrouvez ces publications sur son site : www.outilsderesilience.eu