Publié par Bruno Humbeeck* le 25/02/2023
" L’école n’est pas le lieu du plaisir permanent, de la joie continue et du contentement satisfait. Elle ne doit jamais nourrir cette folle ambition. Elle doit juste, et c’est déjà beaucoup, se poser en territoire de l’envie...
Personne ne peut affirmer que tous les apprentissages procurent de la joie. Prétendre qu’un enfant sera toujours, une fois devenu élève, content d’apprendre ce que l’école lui donne à connaître ou à expérimenter et qu’il suffit donc de “laisser croître", sans interférer dans les savoirs à acquérir, pour que tout se passe bien relève donc de l’hérésie pédagogique, du simplisme réducteur ou de la naïveté plus ou moins assumée.
Et si on pensait les choses autrement ? Si, au lieu de promettre la joie et le plaisir, on interrogeait au préalable l’envie.
Pour le meilleur, l’envie désigne la base organique du désir qui constitue le moteur majeur de nos aspirations et du plaisir que nous éprouverons à les voir se réaliser. C’est cette envie-désir-plaisir qui invite à se projeter avec délectation dans un avenir prometteur ou dans un futur désirable. A l’école cette envie est celle qui fait naître le désir d’apprendre et pose les bases du plaisir que l’élève ressent quand il éprouve le sentiment de connaître, de comprendre et de maîtriser.
Cette envie-là, c’est effectivement, pour le meilleur, celle qui se trouve à la base des trajectoires d’apprentissage vécues comme des réussites par celui-là même qui a pris la décision d’apprendre. Il n’est donc ici question que de l’envie qui fait naître le désir d’apprendre et procure le plaisir d’avoir appris.
C’est celle-là qui nourrit cette première conviction qu’une école fondée sur l’envie permet aux apprentissages de prendre du sens non pas, par la signification qui leur est donnée dans un programme préformaté, mais par le principe mobilisateur qu’elle induit quand elle est partagée par un élève qui l’éprouve, un enseignant qui la met en mouvement et un parent qui participe à sa réalisation.
L’envie constitue, chez l’être humain, un moteur puissant qui, préalable au désir, contribue à le faire naître et qui, antérieur au plaisir, permet de l’anticiper en favorisant sa réalisation.
Mais l’envie n’exclut pas l’effort, n’offre aucune garantie contre des moments de déplaisir et laisse de la place à toutes les émotions en laissant le champ libre à une déception possible, à une éventuelle inquiétude et à des périodes d’insatisfaction et non pas seulement à une joie continuelle, sans ombre, éclatante et tonitruante.
L’envie, c’est ce qui donne confusément du sens aux apprentissages avant même qu’ils ne prennent leur réelle signification en s’inscrivant dans un désir précis. L’envie de faire de la musique devient ainsi le désir d’apprendre à jouer d’un instrument. L’envie de manipuler de la matière donne naissance au désir d’en faire quelque chose. L’envie de connaître, de comprendre, d’analyser fait naître le désir de maîtriser une technologie, un pan de savoir ou un ensemble de connaissances.
L’envie, c’est l’antichambre des désirs qui s’imposent avec force et de façon pénétrante en faisant naître les intérêts mobilisateurs.
C’est par l’envie à laquelle on se montre suffisamment réceptif que les centres d’intérêt se constituent. C’est aussi par l’envie à laquelle on se montre suffisamment sensible que l’attention se manifeste pour permettre les apprentissages. C’est encore par l’envie à laquelle on aura prêté suffisamment d’importance que l’engagement actif dans les acquisitions se réalise avec le plus d’assurance… Cette envie là, c’est l’envie qui constitue le désir….
C’est pour cela que la principale obligation que les adultes, parents, enseignants ou éducateurs, doivent se donner à eux-mêmes, c’est de manifester aux aussi leur envies en ne délaissant pas leur propre aptitude au bonheur...
C’est comme cela en effet que l’on transmet le mieux aux enfants l'envie qui est à la base de toutes les envies : l’envie de grandir..."
* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons. Retrouvez ces publications sur son site : www.outilsderesilience.eu