Par le groupe Ecole des Ceméa, Chronique d'octobre 2023.
Face aux difficultés et au manque de moyens, l’école doit souvent «faire avec». Cette rentrée encore, les directions peinent à compléter leurs équipes. Elles se tournent parfois vers des bénévoles (parents, voisin·es, bonnes âmes qui ont quelques heures à offrir à l’école) ou des profs sans titre requis. Ce n’est pas l’idéal, mais il faut bien s’y résoudre…
Si on croise la problématique de la pénurie d’enseignant·es avec l’omniprésence des outils numériques dans les écoles (tableau blanc interactif, qu’on en ait l’usage, l’intérêt ou non...), on pourrait envisager de remplacer certain·es profs… par des IA (Intelligences Artificielles). Loin d’être tirée d’un scénario de science-fiction, la question est posée très sérieusement dans l’émission Parti pris sur La Première ce 1er septembre. Ça tombe bien car, les géants du numérique, les GAFAM, ne nous ont pas attendu·es pour y réfléchir et proposer de nombreux programmes et outils d’intelligence artificielle dits éducatifs. Mais avant de nous lancer dans le grand remplacement, interrogeons-nous sur ce qu’est une IA et, surtout, parce que là réside l’essentiel, ce que signifie enseigner.
Communément, les logiciels qui automatisent une série d’opérations afin de simuler une partie du comportement humain sont appelés IA. Ce sont donc des outils qui peuvent, parfois de manière très impressionnante, écrire, chercher plus vite, conduire comme un être humain. Ils dépassent même, dans certains domaines, les compétences humaines en mathématiques ou en robotique par exemple. Toutefois, dans cette comparaison, se glisse une erreur fondamentale: la confusion entre l’humain et l’outil. En effet, les individus possèdent des capacités, mais ne se résument pas à celles-ci; ils ont une vie intérieure, des émotions, des relations complexes… dont l’outil est dépourvu. De fait, personne ne penserait comparer la force ou l’intelligence d’un être humain à celle d’un marteau ou d’un tournevis.
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On constate depuis longtemps une tension qui traverse le monde de l’enseignement: à quoi sert l’école? Instruire en permettant d’acquérir des savoirs, voire des compétences? Former les citoyen·nes de demain? Un peu des deux? Si l’on conçoit juste l’école comme une machine à instruction, un outil qui crée des outils, une intelligence artificielle est tout à fait capable de générer un propos, de concevoir un dispositif didactique de renforcement et d’en évaluer l’efficacité dans un test qui validera l’acquis des apprenant·es. Si on envisage l’enseignement comme, avant tout, une relation soignée et exigeante entre enseignant·es et enseigné·es, génératrice d’apprentissages, de réalisation de soi, de vivre ensemble, d’appartenance à une communauté humaine, on peut affirmer qu’aucune intelligence artificielle ne remplacera un·e professeur·e.
C’est donc un choix politique d’une éducation de la jeunesse. Si l’école est conçue pour maintenir les dominations sociales, patriarcales, territoriales, générationnelles... et former des personnes capables de reproduire et de restituer, alors l’utilisation de l’intelligence artificielle a du sens. Si, comme nous l’espérons, l’école a l’ambition de permettre aux enfants, ados et adultes d’être auteur·trices d’une société plus égalitaire, de les entraîner à devenir créateur·trices de leurs propres expériences et, donc, apprentissages, mais aussi de textes, d’inventions scientifiques, de musiques, de codes informatiques, de peintures… alors ça, pour le moment, aucune intelligence artificielle ne le permet (car elle ne peut le faire elle-même). Et c’est sûrement une bonne nouvelle!
L’IA à l’école, comme dans bien d’autres lieux, ne peut donc pas devenir LA solution ultime aux problèmes issus, au départ, à l’inorganisation du système éducatif, à son manque de financement, à ses impensés, à son manque de personnel… La question serait plutôt de savoir comment maintenir les exigences et intentions éducatives dans un système scolaire malmené par des remous politiques et économiques?
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N’oublions pas non plus qui nous fournit ces IA. Chat GPT est sûrement la plus connue actuellement. Elle est l’œuvre de la firme OpenIA dont les deux principaux actionnaires sont Elon Musk et Microsoft. Le premier a déjà plusieurs fois affirmé que l’intelligence artificielle, à terme, rendra tout emploi obsolète. Pour lui, les machines surpasseront l’être humain. Elles risqueront même de s’impatienter face à sa lenteur cérébrale et à sa stupidité (Le Figaro, 18/07/2017). En ce qui concerne Microsoft, la société de Redmon a été plusieurs fois condamnée pour des abus de position dominante et pour évasion fiscale, entre autres… Drôle de pari que de laisser entrer dans nos écoles, des technologies créées par des géants du numérique dont l’objectif n’est pas que de faciliter ou de développer les possibilités humaines. En effet, dans cette nouvelle économie, nous ne sommes ni client·es, ni produits ; nous sommes la matière première exploitée. Chaque outil provenant de la Silicone Valley embarque son lot d’espions avec, pour mission, de récolter, cartographier, schématiser et transformer en données la totalité de l’expérience humaine. Ces données, issues de notre comportement, de notre intimité, servent à des fins prédictives pour façonner et influencer nos comportements futurs. Qu’acheter, où partir en vacances, que regarder, pour qui voter... Bref engendrer de l’argent et du pouvoir!
Attention, il n’est pas question de laisser le numérique à la porte de l’école. Au contraire, car l’outil numérique fait partie de nos vies, et ce au quotidien. La tâche de l’école est donc de le transformer en outil d’apprentissage, d’accompagner son utilisation et d’éclairer, de façon critique, les élèves sur les intentions des multiples logiciels et applications. Le meilleur outil pour émanciper reste le rapport humain, et même une mauvaise leçon ou un «jour-sans» de l’adulte peut être une sacrée source d’apprentissages. L’IA n’est que chiffres, statistiques et se base uniquement sur ce qui convient au plus grand nombre. L’éducation est tout le contraire: c’est prendre soin du besoin individuel de chacun·e pour le·la faire grandir et progresser avec les autres.
Dans l’actualité récente, il y a des lueurs de lucidité. L’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, annonçait en ce début septembre que le remplacement de professeurs par des intelligences artificielles pourrait affecter le bien-être émotionnel des enfants et les rendre vulnérables à la manipulation. Faisons donc en sorte de ne pas devoir nous y résoudre!
Texte du Groupe École des CEMÉA
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