Publié par Bruno Humbeeck* le 22/09/2020
"L’école quand elle conduit un élève à intérioriser profondément l’idée de son insuffisance pour apprendre, à le persuader durablement de son incompétence pour agir ou à le convaincre sournoisement de son inaptitude à comprendre, passe complètement à côté de son objectif. Elle se constitue alors comme une machine à broyer ceux qui, se considérant eux-mêmes comme les plus faibles, endossent sans résister ce costume de mauvais élève qui semble alors leur aller comme un gant parce qu’ils se sont laissés décramponnés, se sont résignés à décrocher et acceptent l’idée que l’école ne les concerne pas parce que tous les apprentissages qu’elle propose ne les intéresse pas.
C’est pour cela, parce que l’estime de soi - et plus encore les cycles vertueux ou vicieux qu’elle indui - constitue le socle sur lequel se fonde ce puissant mécanisme d’auto-sélection qui prend la forme d’un sabordage de soi nourri de cette peur fondamentale d’apprendre qui étouffe tout plaisir de découvrir et tout désir d’explorer, qu’il apparait fondamental de débusquer dés les premiers pas de l’enfant, devenu élève par la magie de l’école, les failles qui se constituent au coeur de l’estime dans laquelle il se porte. Et force est de constater que sur ce plan là, les pièges seront nombreux. De la désapprobation qui humilie à la sanction qui disqualifie en passant par la correction qui discrédite, tout ce qui prend la forme d’une évaluation peut être interprété, souvent en dépit des précautions que prend l’enseignant, par l’élève comme une source de dévalorisation.
Ce n’est généralement pas l’enseignant qui est en cause mais le principe d’une évaluation trop souvent présentée comme un examen ou comme une épreuve ou, pire encore, comme un examen qui prend la forme d’une épreuve, alors qu’elle devrait juste être proposée comme un bilan de compétences qui permet de faire un état des lieux en dressant un inventaire du connu, du mal connu et de l’inconnu avant de reprendre le chemin des apprentissages sur des bases mieux assurées.
Evidemment, si l’on parle d’examen, on se met aussitôt à suggérer, par un terme médical qui évoque un diagnostic posé par une autorité toute puissante, une série d’épreuves « subies » par un candidat en vue de vérifier son degré d’instruction ou d’apprécier ses aptitudes (Larousse). Avec la notion d’examen il n’est donc pas question d’auto-évaluation, d’appréciation par l’élève lui-même de sa propre progression mais bien d’une vérification posée par une autorité habilitée à former un diagnostic. Avec l’examen, on se soumet à l’observation minutieuse qu’un autre que soi porte sur l’état dans lequel on se trouve à un moment donné et on accepte implicitement les appréciations et les jugements qui seront liés à cette observation... Et si l’on sous-entend en plus, par la terminologie utilisée, que cet examen prendra pour celui qui fait l’objet de la vérification la forme d’une épreuve, on suppose alors qu’il faudra nécessairement, en le subissant, traverser une difficulté qui éprouve le courage et provoque de la souffrance (Larousse)...
Un examen sous forme d’épreuve, ce n’est donc pas à priori une partie de plaisir, ce n’est pas non plus une façon de développer la connaissance de l’élève par lui-même, ni une manière de développer son autonomie en lui donnant la possibilité d’oser se lancer dans les apprentissages en s’instruisant de ses erreurs. Non, un examen qui prend la forme d’une épreuve, c’est juste une façon de sélectionner dans la douleur en sapant éventuellement l’estime de soi de ceux qui le subissent passivement. En outre, dans la forme anxiogène qu’il prend dés qu’il est présenté comme une évaluation sommative (dis)qualifiante, l’examen risque de se mettre à mesurer non pas le niveau de compétence de l’enfant qui apprend mais bien plus sa façon de réagir au stress. Ainsi envisagé, un examen fait trop souvent « perdre les moyens » aux élèves. Il n’évalue plus alors en réalité leurs compétences réelles mais davantage leur aptitude à passer un examen...
C’est pour cela qu’une refonte positive de l’école passe nécessairement, selon moi, par le réexamen approfondi de la notion d’examen..."
Br.H., extrait de "L'estime de soi pour aider à grandir", éditions Mols.
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* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons. Retrouvez ces publications sur son site : www.outilsderesilience.eu