De la maternelle à l'université : pourquoi mettre mes élèves en activité ?

Raquel Gemis, Professeure de français au DI et au DS, Formatrice à la mise en activité des élèves.


Depuis quelques années, la mise en activité concrète des élèves revient sur le devant de la scène. Si les apprentissages par le biais d’ateliers, d’exercices autocorrectifs et d’activités de manipulation sont fort présents en maternelle et parfois au début du primaire, force est de constater que la pratique tend à se perdre pour ne pas atteindre la porte du secondaire. Et pourtant… 

Les réflexions pédagogiques ne datent pas d’hier. En effet, au travers de sa célèbre « Allégorie de la caverne », Platon (428 / 427 av. J.-C. - 348 / 347 av. J.-C.) illustrait déjà la démarche intellectuelle que doit suivre l’humain : l’intelligence est un détour forcé qui prend appui dans le concret. Sortir de sa caverne pour contempler le monde réel et non les abstractions projetées sur un mur et considérées comme réelles. Voici une allégorie qui peut nous interpeller à l’heure des projections de Power Point, parfois intempestives dans certains milieux scolaires, du secondaire à l’université.

Avant de nous pencher sur la pertinence de mettre nos élèves en activité, et ce quel que soit leur âge, je vous propose un bref aperçu des pensées et mises en place pédagogiques qui ont jalonné nos conceptions des apprentissages.


Au Moyen Âge…

Au Moyen-Âge, l’apprentissage se fait sous forme de discussion entre le maitre et ses élèves, tous âges confondus ; ou au sein d’une corporation dirigée également par un maitre, qui apprend des tâches à ses élèves. Il n’y a pas de programme : le maitre s’adapte aux discussions ou aux nécessités du moment. Ces maitres pratiquaient l’enseignement mutuel, s’appuyant sur les élèves plus âgés, ou plus expérimentés pour accompagner les plus jeunes dans leurs réflexions et apprentissages. Cette pratique était de mise depuis l’Antiquité.


XVe siècle : mise en place d’un enseignement simultané1

La façon dont la plupart des enseignant·es des XXe et XXIe siècle ont appris à l’école, et, parfois, enseignent de nos jours, date du XVe siècle. C’est en effet à ce moment qu’est mis en place un enseignement simultané, c’est-à-dire : un professeur donne cours à un ensemble d’élèves du même âge, censés être du même niveau, qui font tous la même chose, en même temps.

Cette conception assez neuve à l’échelle de l’humanité s’installe et devient dès lors dominante à l’échelle de la planète. Il est à noter qu’au XIXe siècle, en Belgique, des débats  parlementaires autour de la mise en place d’autres méthodes, dont un retour à l’enseignement mutuel, ont animé nos politiques… 


XIXe et XXe siècle : un renouveau pédagogique ?

Montessori, Itard, Decroly, Freinet, Piaget… Ces noms vous disent probablement quelque chose. Et pour cause : ces pédagogues ont marqué les XIXe et XXe siècles par l’élaboration de pédagogies innovantes. Tous et toutes prônaient une mise en activité concrète des élèves. Montessori (1870-1952) créera du matériel sensoriel de manipulation dans un premier temps pour les « retardés mentaux », ensuite pour les enfants « normaux » en âge préscolaire. Decroly (1871-1932) prônera l’apprentissage en plein air : partons à l’aventure, bougeons nos corps et nos esprits pour éveilleur notre curiosité ! Freinet (1896-1966) créera quant à lui sa méthode d’apprentissage fondée sur l’action, la pratique, les essais-erreurs et les projets.

Il est important de noter que Montessori, Itard et Decroly étaient avant tout des médecins. Leur approche scientifique a permis de grandes avancées en matière de pédagogie. Cependant, s’adressant chacun·e à un public particulier – les enfants en âge préscolaire et primaire – leurs expériences ne se sont pas étendues au secondaire. Freinet, quant à lui, était instituteur, ce qui, à nouveau, restreignait le champ d’application de ses mises en place pédagogiques.


La faute à Piaget ?2

Dès 1950, Piaget, biologiste, psychologue et épistémologiste3 suisse, élabore ses théories de l’apprentissage. Pour aller à l’essentiel, et à ce qui nous intéresse, selon ses théories, l’apprentissage se fait par palier et est linéaire. En résumé, Piaget distingue 4 stades4 :

  • Un stade sensori-moteur de 0 à 2 ans.
  • Un stade préopératoire de 2 à 7 ans.
  • Un stade opératoire concret de 7 à 11 ans.
  • Un stade opératoire formel  à partir de 12 ans.



Ainsi, l’apprentissage se ferait par paliers linéaires, partant du concret vers l’abstrait. À partir de ces différents stades, des stratégies cognitives, également linéaires, ont été élaborées. Par exemple, au stade sensori-moteur, l’enfant aura besoin de bouger et de toucher, alors qu’il n’en aura plus besoin au stade opératoire formel. Cependant…

Nous arrivons au cœur de notre préoccupation : la mise en activité des élèves est-elle l’apanage du maternel et du primaire ? Y a-t-il réellement des stratégies d’apprentissages propres à chaque stade de développement ?


XXe et XXIe siècles : neurosciences et neuroéducation

C’est au XXe siècle que se développent les neurosciences, et celles-ci bousculeront nos certitudes pédagogiques.

En 2009, au sein de l’Université du Québec à Montréal, nait le concept de neuroéducation. Ce champ de recherches interdisciplinaire combine les neurosciences, la psychologie et l'éducation. Il a pour but de créer de meilleures manières d'enseigner et de meilleurs programmes scolaires. Dès lors, grâce à l’évolution scientifique et au développement de l’imagerie cérébrale, il est possible d’observer in vivo l’activité cérébrale en situation d’apprentissage. Très vite les chercheurs constateront que l’architecture du cerveau évolue en fonction des apprentissages et qu’il est donc nécessaire de comprendre et connaitre cette architecture. De plus, ces chercheurs et chercheuses comprendront que les pratiques pédagogiques influencent l’évolution de cette architecture, préparant, ou non, à la réception des prochains apprentissages.

C’est Olivier Houdé qui introduit en Europe le concept de neuroéducation. Dans son laboratoire, lui et son équipe s’attèleront à confronter les théories de Montessori, Freinet, Piaget… aux avancées neuroscientifiques. Mais l’équipe ne s’est pas contentée de vérifier si ce que préconisaient ces médecins et pédagogues fonctionnait sur leur public : le champ d’application a été élargi jusqu’aux adultes. 

Il faudrait tout un livre pour parler des résultats des nombreuses expériences d’Olivier Houdé, livre qui par ailleurs a déjà été écrit5. Je me contenterai donc ici d’un bref résumé.

Les expériences d’Olivier Houdé et son équipe ont mis en évidence que :

« l’intelligence avance de façon beaucoup plus dynamique et non linéaire [..] avec de multiples stratégies cognitives qui se chevauchent »6 : c’est-à-dire que, si la théorie des apprentissages de Piaget comporte une certaine vérité, les stratégies d’apprentissages qui ont été élaborées en regard de chaque stade peuvent être étendues à d’autres stades. Par exemple, pour apprendre, un·e adolescent·e aura tout autant  besoin de bouger, toucher, expérimenter qu’un enfant.

« lorsqu’il est actif, l’enfant ou l’adulte, effectue des prédictions, réfléchit à une réponse, l’anticipe avant qu’elle ne lui soit apportée »7 : ceci vient appuyer la théorie de Piaget et Freinet selon laquelle l’enfant a besoin d’une pédagogie fondée sur l’action. Mais les expériences d’Olivier Houdé permettent de l’élargir au champ des adolescent·es et des adultes.

« il est préférable que la tâche soit ni trop facile, ni trop difficile pour ancrer la curiosité et le progrès »8 : ce qui vient appuyer la théorie de Montessori selon laquelle il faut proposer des tâches un peu difficiles sans que celles-ci excèdent les possibilités des enfants. Mais à nouveau, le champ est élargi jusqu’aux adultes.

« L’éducation nouvelle invite à ce que l’émotion soit au centre de la classe et des apprentissages car elle est au centre du cerveau et du corps »9

« Plus les élèves apprécient le cours et la pédagogie de leur professeur, plus leurs activités cérébrales [sont] synchrones, c’est-à-dire mobilisant les mêmes ondes au même moment »10

Les expériences d’Olivier Houdé mettent bien en évidence la nécessité absolue de mettre les élèves en activité. Elles élargissent le champ des théories élaborées par des pédagogues du siècle dernier, jusqu’ici cantonnées majoritairement au public auquel chacun·e enseignait : les maternelles et le primaire. La neuroéduction met en lumière la nécessité d’amener les élèves à se sentir concerné·es par leurs apprentissages, de les mettre en activité par le biais d’activités autonomes et d’activités de manipulations, de leur laisser une marge de liberté… toutes ces pratiques n’étant pas l’apanage du maternelle et du primaire. Celles-ci offrent en effet aux élèves de tout âge, de la maternelle à l’université, un ancrage beaucoup plus concret et développent chez eux et chez elles des stratégies d’apprentissage qui leur seront bien utiles s’ils et elles abordent des études supérieures ou universitaires. 

La neuroéducation n’a pas pour but d’imposer une pédagogie quelconque, par ailleurs, elle ne permet pas de valider l’une ou l’autre pédagogie : l’application et la réussite de celles-ci dépendent de nombreux autres facteurs! En revanche, elle permet de mettre en lumière, de façon tout à fait scientifique et fondée, les mécanismes du cerveau. Mécanismes dont il serait très dommage de faire fi dans nos pratiques enseignantes, de la maternelle à l’université.

Pour clore cette réflexion, revenons à l’ « Allégorie de la caverne » de Platon. Comme écrit en introduction de cet article, elle met en évidence la nécessité d’un effort intellectuel et d’un appui dans le concret.  Mais elle souligne également l’exigence du développement de l’esprit critique : ne pas prendre pour vrai ce qu’on nous dit ou nous montre, mais mettre ces pratiques à l’épreuve de notre réalité, se les approprier en les adaptant et s’en faire une idée concrète. À vous de jouer donc !


  1. Sabine Kahn et Elsa Roland, « De l’enseignement mutuel à la pédagogie différenciée : la place de l’enseignement simultané », in : Les Cahiers du CERFEE, 59, 2021.
  2. La naissance de l’intelligence chez l’Enfant, Delachaux et Niestlé, 1936. Voir également ce très intéressantdocumentaire

  3. L’épistémologie la théorie de la connaissance, Piaget la définit comme l’ « étude de la constitution des connaissances valables »
  4. Une petite vidéo qui offre une explication claire et complète de ces stades.
  5. Olivier Houdé, L’école du cerveau, de Montessori, Freinet et Piaget aux sciences cognitives, Editions Mardaga, Bruxelles, 2021.
  6. Ibidem, p. 93.

  7. Ibidem, p. 105.

  8. Ibidem, p. 107.

  9. Ibidem, p. 113.

  10. Ibidem, p. 114.


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