Dans de nombreuses écoles, l’agencement des classes reste figé sur le modèle traditionnel de la « classe autobus », limitant l’apprentissage et l’interaction sociale. Pourtant, adapter les espaces selon les objectifs pédagogiques peut favoriser le développement cognitif et la socialisation. Cet article de La Conversation souligne l’importance de repenser l’aménagement des classes pour répondre aux besoins des élèves.
Dans de nombreuses écoles primaires, et davantage encore dans le secondaire, si une personne scolarisée il y a cinquante ans entrait aujourd’hui dans une salle de classe, elle ne serait pas vraiment dépaysée.
Héritière d’une « tradition » de surveillance plutôt que d’apprentissage, la « classe autobus » continue de faire recette, avec ses pupitres simples ou doubles, placés les uns derrière les autres, en deux ou trois colonnes séparées par des travées où circule le maître. Tous font face au tableau et au bureau de l’enseignant. Il s’agit, de fait, de la disposition rituelle des examens, du brevet des collèges au bac, et des concours.
Si la manière d’« habiter l’école » préoccupe architectes ou acteurs de la politique de la ville, l’organisation de la classe, lieu d’apprentissage et de vie sociale, interroge l’évolution des structures spatiales au bénéfice des démarches cognitives d’une part et des interactions nouées d’autre part.
Comment l’agencement de la classe intervient-il sur la façon d’apprendre ? Que nous dit-il des philosophies de l’éducation qui animent l’enseignant ? Quelles relations y a-t-il entre l’organisation spatiale et le rapport au savoir qu’entretiennent les élèves ? Comment l’autorité du professeur est-elle mobilisée selon les aménagements matériels ?
En école élémentaire, les élèves passent environ 6 heures par jour dans leur classe. L’école a aujourd’hui pour mission une « éducation nationale », c’est-à-dire qu’il ne s’agit plus seulement d’instruire et d’inculquer des connaissances aux nouvelles générations, mais aussi d’éduquer, c’est-à-dire qu’il y a une volonté de contribuer à la formation des citoyens de demain.
Dans cette perspective, il s’agit de considérer la classe comme un lieu d’apprentissage des règles de vie en commun. Des démarches pédagogiques contribuent considérablement à cette construction citoyenne : la « socialisation démocratique » chère au pédagogue Célestin Freinet, figure de l’éducation nouvelle, en est un exemple. Elle recouvre des choix pédagogiques qui imprègnent encore aujourd’hui l’espace scolaire : élire des délégués de classe, élaborer des règlements intérieurs, décider collégialement des règles de vie commune et des sanctions éventuelles en cas de manquement, donner la parole aux élèves, débattre des sujets importants et prendre des décisions associant élèves et enseignants.
Ces différentes actions favorisent l’entrée des jeunes enfants dans la vie sociale. La mise en place d’espaces en cohérence avec cette visée éducative y contribue tout autant. Ainsi, changer la disposition des tables selon les activités reconfigure non seulement l’espace matériel mais aussi le rapport qu’entretiennent les élèves entre eux et avec leur maître ou maîtresse.
Comme la micro-société qu’elle constitue, la classe est un des lieux privilégiés des premières interactions sociales autres que familiales, dans lequel le médiateur entre l’enfant et la société des autres élèves est l’enseignant : « L’éducateur a pour fonction de permettre l’accès au déchiffrage des signes et à la structuration de la vie intérieure. Il a un rôle médiateur entre l’être et le social, et il fait accéder l’enfant aux lois du groupe social auquel il appartient », selon les mots de Marcel Postic, spécialiste en psychologie de l’éducation.
Dans les pédagogies traditionnelles, où la classe reste figée sur le seul modèle de la classe « autobus », le maître « fait » la loi alors que, dans les pédagogies nouvelles, il s’en présente comme le garant. Il est de son rôle de rappeler et de faire respecter les règles en vigueur dans le microcosme de la classe, nullement de les décider seul et de manière arbitraire.
Ainsi la relation d’autorité devient-elle celle qui conduit l’élève à s’autoriser à interagir, à réfléchir, à essayer, à se tromper, dans un cadre dont l’enseignant est garant. Celui-ci n’édicte pas la loi mais demeure responsable de son observance : « il n’impose pas cette autorité à ses élèves, il la met à leur service », selon Marcel Postic.
Cette autorité de l’enseignant, qui autorise l’élève à se mouvoir dans l’espace selon des règles communes, est en relation avec la façon dont sont pensés les apprentissages et les démarches cognitives.
Les propos précédents sur la « classe autobus » pourraient laisser penser que cette configuration matérielle de l’espace serait à proscrire totalement, sous peine pour l’enseignant d’être inféodé à une conception traditionnelle et conservatrice de l’enseignement. Il n’en est rien.
Une organisation spatiale ponctuelle en modèle magistral (« classe autobus ») peut avoir une pertinence lorsque les objectifs pédagogiques s’y prêtent : quand il s’agit de transmettre des connaissances ou quand on souhaite communiquer la même information à tout le monde, en même temps. Que ce soit inscrit sur le tableau auquel font face toutes les tables ou qu’il soit question d’entendre clairement ce que l’enseignant déclare.
Cette configuration n’est plus pertinente du tout si on souhaite développer des activités de « conflit socio-cognitif », durant lesquelles les élèves doivent pouvoir chercher à résoudre des problèmes collectivement, en échafaudant des hypothèses, en argumentant et contre-argumentant, dans le but de construire de nouveaux savoirs qu’il aurait été difficile de faire émerger, seul, à sa table. Dans ce cas de figure, un regroupement de 4 à 5 places est le plus indiqué.
Lors de débats, de mise en place de projets, des organisations spatiales en U ou en rectangle sont particulièrement bienvenues. Elles permettent les interactions entre tous les participants qui se voient, qui peuvent prendre la parole tour à tour, discuter et échanger dans le respect des règles collectives, et sous l’autorité de l’enseignant placé parmi eux.
Ainsi, le lieu « classe » doit pouvoir se structurer de multiples façons : avec des tables disposées en U, en rectangle, en binôme, par petits groupements, avec des tableaux fixes et d’autres mobiles, des « coins » bibliothèque ou informatique (avec des casques), une grande table en fond de salle, etc.
La classe du futur est au Lycée pilote innovant international à Jaunay-Marigny (86) (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2017). Ces variations de l’espace classe n’ont pas de valeur en soi, elles ne valent que par les intentions pédagogiques qu’elles servent. Chaque aménagement a sa pertinence, sous réserve qu’il soit cohérent avec les démarches d’apprentissage que l’on veut privilégier.
On le voit, le propos ici n’est pas de préconiser une seule et unique configuration spatiale, valable et efficiente quels que soient les objectifs pédagogiques ou socio-cognitifs visés. Il est plutôt question de donner à voir comment l’aménagement de la classe, la vie sociale de ses membres et les apprentissages à mener sont corrélés.
Depuis la fin du XXe siècle, l’école s’approprie cette réflexion sur les espaces scolaires, les chercheurs en éducation s’en préoccupent et la formation des futurs enseignants y est associée. Si l’organisation en « classe flexible » se diffuse, dans les faits, le modèle traditionnel reste néanmoins privilégié.
Pourtant, penser, repenser les espaces, le mobilier, les moments partagés du collectif où les élèves vivent une grande partie de leur vie d’enfant est nécessaire pour la cohérence et la réussite de la mission de cet espace-temps éducatif et social qu’est la classe.
Par Cécile Goï, Professeure des universités émérite, Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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