Mars 2025, par Corentin Crutzen
Un article du magazine Symbioses n°143 : Du clic au dé-clic
Depuis l’émergence des Intelligences Artificielles génératives telles que ChatGPT, le monde de l’enseignement fait face à de nombreux défis et bouleversements. Explorons-en quelques-uns.
En Belgique, 20% des élèves de 1reᵉ et 2e secondaire ont déjà utilisé une IA pour leurs devoirs, tandis que ce chiffre monte à 37% pour les élèves de 5e et 6e, selon l’enquête #Génération2024 (1). Les élèves (et certain·es enseignant·es) se sont rapidement emparé·es de ces nouveaux outils numériques, y voyant une opportunité pour gagner du temps, améliorer la qualité d’une production, voire pour effectuer le travail à leur place.
Les étudiant·es du supérieur n’y échappent pas non plus. Une étude récente montre que 94% des copies générées par IA échappent à la détection par leurs enseignant·es (2). Tout cela force les enseignant·es à revoir leur façon d’évaluer. « Pour certains cours, de plus en plus, je transforme la demande de travail écrit en journal des apprentissages, dans lequel les étudiants doivent rendre compte des questions qu’ils se posent pendant le cours. Les élèves perdent en autonomie, puisque cela les force à être présent aux cours », explique Maud Delepiere, chercheuse et enseignante à l’ULB et à la HE2B Defré.
« Depuis 2 ans, j’ai bien vu la différence de niveau d’écriture. Ça n’existe plus, un travail d’étudiant mal écrit », poursuit-elle. Si l’IA peut avoir des vertus positives et aider les étudiant·es, « il est important que les étudiant·es puissent petit à petit se libérer de cet outil d’aide pour devenir plus autonomes », affirme Michaël Van Royen, qui enseigne les TICE (Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement) à la HE2B Defré.
Selon ce technopédagogue, il est primordial d’informer et de former les étudiant·es et les enseignant·es à l’utilisation de ces technologies. « Pour éviter un clivage “pour” ou “contre”,je préconise une éducation à l’IA, qui favorise le développement d’une posture réflexive et critique quant à l’usage de celle-ci. » Car, malgré leurs performances, les IA génératives produisent souvent des affirmations fausses ou approximatives. « Il est important de dé-mystifier cette technologie, d’apprendre comment elle fonctionne pour mieux comprendre ses enjeux. »
En comprenant son fonctionnement, l’utilisateur·ice est plus à même d’identifier les biais et de développer une utilisation responsable. Il semble également important d’explorer les impacts tant positifs que négatifs de l’utilisation de l’IA, qui peut être un support dans les apprentissages mais qui pose également des questions éthiques (3), démocratiques (4), environnementales (voir l'article Petits clics, grands impacts, pp.9-12), etc.
Au-delà des questions d’évaluation et de formation, l’IA vient bouleverser le rapport au savoir. En proposant des réponses immédiates supposées « objectives », « les robots conversationnels comblent, en effet, le désir de savoir et tuent le désir d’apprendre. [...] Ils produisent des certitudes qui enkystent la pensée… Tout le contraire de ce qui incombe au professeur : susciter des interrogations pour libérer des préjugés », avertit le pédagogue Philippe Meirieu (4).
Face à ces technologies émergentes, il est important de garder un recul critique et de se poser des questions sur l’utilisation, les apports et les dangers de l’IA dans l’enseignement. La relation pédagogique qui s’établit entre enseignant·es et élèves est une relation vivante qu’aucun outil technologique ne pourra remplacer.
(1) #Génération2024, enquête réalisée par Média Animation et le CESM.(3) Voir l’article L'intelligence artificielle : exemples de dilemmes éthiques, UNESCO, avril 2023.